Les nuisances sonores, la qualité de service, le développement des vols low cost ou encore l’avenir de la « piste sécante » : ces thèmes, qui intéressent au premier chef usagers et riverains, figurent dans le dernier rapport de la Cour des comptes qui ausculte la gestion de l’aéroport de Bordeaux-Mérignac de 2013 à 2021, concerté avec les dirigeants de la plateforme et ses actionnaires – principalement l’État (60 %) et la Chambre de commerce et d’industrie de Bordeaux (25 %) et les collectivités locales (1). Alors que la stratégie de l’aéroport a été entièrement repensée après la crise du Covid, le rapport éclaire – à rebours – les coulisses d’un tel enjeu, en rembobinant des années de course à la croissance et d’un modèle « qui a mal résisté aux crises et conduit à négliger d’importants enjeux ».
1 Une stratégie mise en cause
Selon la juridiction de contrôle, le 8e aéroport français avec 7,7 millions de passagers – niveau d’avant Covid, retrouvé cette année, après une dégringolade à 250 000 voyageurs – « a mis en place de longue date une stratégie de croissance de son trafic, assise sur les vols à bas coûts (low cost) ». De 2013 à 2019, le trafic a augmenté de 68 %, avec 113 lignes ouvertes et une hausse de 142 % du chiffre d’affaires. Cette stratégie, conçue face au « choc concurrentiel » que devait représenter la LGV Paris-Bordeaux en 2017, s’est traduite par « une priorité donnée à l’accumulation de très importantes réserves financières et du report de nombreux investissements », juge la Cour des comptes.Or, « la mise en service de la LGV n’a pas entraîné la crise annoncée », constate le rapport, pointant que les excédents financiers de 2018 « ont donné lieu à une distribution exceptionnelle de 20 millions d’euros de dividendes aux actionnaires ». En fait, le « modèle » économique de l’aéroport régional a été secoué par « les effets combinés de la crise sanitaire » et l’arrêt de la navette Paris-Orly (15 % du trafic) et ce, « bien plus fortement que pour d’autres plateformes aéroportuaires ». Et d’insister : « La réussite financière de la période passée, qu’illustre notamment le reversement de 49,7 millions d’euros de dividendes, pour un résultat net cumulé 2013-2019 de 67 millions d’euros et une trésorerie au 31 décembre 2019 de 75 millions d’euros, apparaît révolue. »
Or, pendant que « les disponibilités financières s’accumulaient » s’allumaient « des signaux préoccupants » : « une qualité de service en recul », des exigences de sécurité « mal respectées » et « des défauts de capacité des bâtiments aéroportuaires ». Précisément tout ce que doit régler le grand projet de réaménagement de 260 millions d’euros, qui démarre cet automne. « On va refaire le Hall 1, le Hall B, les bagages, la police aux frontières… tout », résumait récemment Patrick Seguin, président de la CCI, second actionnaire principal. « En termes de service, il faut qu’un voyageur puisse être dans l’avion trente-cinq minutes après son arrivée. » Le nouveau plan consiste aussi à « diversifier » les compagnies, sans tout miser sur le low cost (lire par ailleurs) et ne pas chercher à (trop) dépasser le nombre actuel de rotations. Mieux : pour répondre aux demandes des riverains, les actionnaires ont demandé à la Direction générale de l’aviation civile de restreindre les vols de nuit, entre 23 heures et 6 heures.
« Nouvelle trajectoire »
L’analyse de la Cour des comptes justifie les nouvelles orientations stratégiques de l’aéroport. C’est la réponse que fait Simon Dreschel, le nouveau président du Directoire de l’aéroport qui incarne justement ce changement de braquet, à l’institution financière. « L’analyse qui est faite de cette période est en cohérence » avec le nouveau modèle économique, écrit-il, en évoquant Ressources 2027, le plan voté en décembre 2022. Celui-ci « impulse une nouvelle trajectoire en mettant au cœur du projet la modernisation, la transition écologique, la qualité de service et une politique de développement commercial et de diversification adaptée aux nouveaux enjeux du territoire ». Il s’agit aussi de diversifier les compagnies, envisager désormais un « développement raisonné du trafic ».2 Piste secondaire et nuisances sonores
La question des « nuisances sonores », le rapport en parle. Elle est même « centrale » dans le débat sur l’avenir de la « piste sécante », cette piste secondaire qui fait un X avec la principale, et que l’État veut supprimer – ce que « la rationalité, tant économique qu’opérationnelle et capacitaire » de l’aéroport justifie, d’après le rapport. Mais cette voie « sécante » représente 15 % du trafic – environ 15 000 mouvements d’avions annuels –, ce qui crée des nuisances à Pessac, Talence ou Saint-Médard. La fermer reporterait ce trafic sur la piste principale (80 000 mouvements) et Eysines, Le Haillan ou Saint-Jean-d’Illac subiraient encore plus de nuisances. L’enjeu est donc de réduire les nuisances, donc le trafic de nuit ou les « taxis ways », avant de fermer la piste.
« L’avenir de l’aéroport reste suspendu à la décision concernant la piste sécante »
Ce sera la garantie de « l’acceptabilité » de cette décision, dit le rapport. « L’avenir de l’aéroport reste suspendu à la décision concernant la piste sécante, dont dépendent tant ses capacités d’investissement futures que ses possibilités de développement. » Et de prévenir : « Si, à l’inverse, une décision de maintien devait être prise, il importe qu’elle le soit rapidement, compte tenu de ses incidences en termes de rénovation et de coûts afférents. » La décision doit être « claire et prise rapidement ».
(1) Région, Département, Bordeaux Métropole, Bordeaux et Mérignac.