Une nuit d’épouvante
Il vivait seul avec sa mère, dans un immeuble, au 53 de la rue Malbec, à Bordeaux-Sud, dans le quartier de la gare Saint-Jean. Un petit appartement de deux pièces, avec cuisine et chambre. A 90 ans, il réside toujours à Bordeaux. S’il dit avoir de nombreux souvenirs de cette période, entre tous, la nuit du 19 au 20 juin 1940, avec ses bombardements, est restée à jamais gravée dans sa mémoire « comme une nuit d’épouvante ». Et il la décrit, comme si c’était hier.
« À l’appel de la sirène, ma mère m’a couché dans une couverture contre le mur de la cour de notre immeuble,raconte-t-il. Elle refusait d’aller aux abris voisins, car elle y était importunée par des hommes qui avaient échappé à la mobilisation. Nous étions seuls tous les deux, mon père, parti au combat en 1939, avait été fait prisonnier en Allemagne. Le ciel de Bordeaux était devenu rouge, rempli d’éclairs et de fumée, et, dans un bruit épouvantable, la terre tremblait. Les tirs de DCA, qui se trouvaient la place des anciens abattoirs [la place André Meunier, NDLR], en face de l’ex école de Santé navale, claquaient. Les bombes sont tombées au bout de la rue Peyronnet, là où sera construit le centre André Malraux, à 300 mètres de chez moi. Ça tombait aussi du côté du marché des Capucins, c’était affreux ! ». On imagine l’effroi du petit garçon, couché dans son coin, blotti sous sa couverture…
Le bilan officiel de ce bombardement sera de 63 morts et 185 blessés.
Cette nuit-là, 22 tonnes de bombes ont été lâchées par la Luftwaffe sur le centre-ville de Bordeaux. Douze d’entre elles sont tombées dans le quartier de la gare Saint-Jean, particulièrement visé, où habitaient Jean-Gérard Daulouet et sa mère. Les Allemands cherchaient à terroriser la population, mais aussi, on le saura plus tard, à empêcher le départ du torpilleur Lansquenet qui s’apprêtait à prendre le large depuis les Bassins à flot. Le bilan officiel de ce bombardement sera de 63 morts et 185 blessés. Mais selon l’historien Albert Rèche, d’autres corps seront retrouvés beaucoup plus tard dans les décombres, si bien que le nombre de décès a probablement dépassé les 80. Pour les Bordelais, c’était le vrai début de la guerre.