-
Débat sur la neutralité internet
La neutralité d’internet va-t-elle disparaître? La commission fédérale des communications américaine devrait l’abroger par un vote ce jeudi 14 décembre. La France, par le biais d’un groupe de travail à l’Assemblée nationale, souhaite à l’inverse inscrire ce principe dans la Constitution française.
Objectif: conserver un internet libre et ouvert.
Mais la neutralité d'internet, qu'est-ce que c'est? Cela consiste simplement à ne faire
«aucune ségrégation de débit en fonction, soit d'un service, soit d'un protocole. C'est-à-dire que le fournisseur d'accès internet (FAI) doit délivrer, pour chaque utilisateur, quels que soient ses besoins le même débit et le même transfert de données».
comme nous l'explique Yannick Harrel, expert auprès de l'Union Internationale des Télécommunications (UIT). Bien que cette possible décision ne s'appliquerait qu'aux États-Unis, une telle situation pourrait-elle se propager en France? Des députés ont, en tout cas, décidé de s'emparer de la question.
Dans le cadre de la réforme de l'Assemblée nationale, un groupe de travail «Démocratie numérique et nouvelles formes de participation citoyenne», présidé par la députée Cécile Untermaier, propose d'inscrire dans la Constitution le principe du droit d'accès à internet et à la formation au numérique. Cette proposition vise notamment à inscrire dans les textes constitutionnels les principes suivants: la liberté d'accès à internet, de publier, de diffuser et de recevoir des contenus en ligne; l'ouverture et l'interconnexion des réseaux de communications ainsi que la fameuse neutralité du Net. En bref, ce groupe de députés souhaite conserver un internet libre et ouvert. Mais pourquoi la disparition de cette neutralité inquiète-t-elle tant?
Création d'un internet à deux vitesses
Pour Yannick Harrel, cette disparition aura de nombreuses répercussions sur les entreprises, mais également pour les consommateurs:
«Ce qui se profile, c'est une lutte entre les fournisseurs d'accès et les producteurs et diffuseurs de contenu. In fine, il y a tout lieu de penser que c'est surtout le consommateur qui va payer la note parce, que c'est sur lui qu'est toujours reporté le coût du changement.»
Un point de vue partagé par Cécile Untermaier, députée nouvelle gauche et présidente du groupe de travail «Démocratie numérique et nouvelles formes de participation citoyenne»:
«Cette décision va probablement créer un internet à deux vitesses, où les grandes entreprises, déjà bien installées, pourraient payer cher pour devenir prioritaires, tandis que les nouveaux venus n'auraient plus les moyens de se faire une place. C'est pourquoi internet doit rester un bien commun, un service public, ouvert et accessible à tous.»
«Cette situation se traduirait soit par une dégradation du service pour les usagers, soit par l'augmentation des prix de certains services en ligne pour faire face à ces nouvelles dépenses», regrette la députée.
L’internet du futur selon @srichard #NetNeutrality pic.twitter.com/Dsm8sN1UrR
— Nozdus (@nozdus) 11 декабря 2017 г.Vers une trahison de la philosophie d'internet?
«Par rapport à la philosophie première d'internet qui est né avec l'IPTO (Information Processing Techniques Office) en 1963, avec l'idée de ce réseau intergalactique d'ordinateurs connectés par Joseph Licklider, c'est vrai que c'est un retour en arrière», concède Yannik Harrel. En revanche, aux États-Unis, à la différence de la France, comme nous l'explique l'expert, «ce sont les fournisseurs d'accès qui font des investissements très conséquents en matière de matériel et de diffusion.»
Les FAI avancent donc qu'«il y aurait une plus juste répartition des abonnements, on pourrait beaucoup mieux "télémétrer" les consommations. De plus, il y aurait une meilleure rentabilité pour les équipements, ces équipements pourraient être remplacés et pourraient être perfectionnés grâce à cet afflux d'argent. En définitive, on irait vers des débits encore supérieurs.»
Pour l'expert, c'est un bouleversement qui est attendu parce que c'est toute la philosophie d'internet depuis qu'il existe qui est totalement remise en cause. En effet, deux écoles vont s'affronter:
«L'égalité de tous devant internet, donc un internet libre et accessible à un débit où le coût est répercuté sur les FAI, parce qu'il y a une lutte pour les abonnements. Ou on considère que finalement, il faut laisser la libre concurrence s'établir avec un internet à plusieurs vitesses, qui serait établi en fonction de la demande des consommateurs, mais aussi on peut le pressentir, des offres d'abonnements qui vont être proposés.»
Certains opérateurs français souhaiteraient s'engouffrer dans cette brèche, à l'image du PDG d'Orange, Stéphane Richard.
Neutralité du net: vers un internet à plusieurs vitesses? "C'est une obligation. Dans le futur, il y a certains usages qui vont nécessiter des internets particuliers. Il faut nous laisser faire" @srichard face à @ssoumier pic.twitter.com/F9GKRyTjZf
— BFM Business (@bfmbusiness) 11 декабря 2017 г.Une perspective inenvisageable pour Cécile Untermaier:
«Il s'agirait, d'une part d'une atteinte aux libertés fondamentales. En effet, l'accès à internet non-filtré est la condition indispensable pour pouvoir exercer la liberté d'expression, la liberté d'information, la liberté de communication, et d'autre part, d'une atteinte à la libre-concurrence. S'il n'y a pas de neutralité du net, alors la technique de raccordement au réseau peut devenir brevetée et fermée.»
La France comme dernier rempart de l'internet libre et ouvert?
«L'UE a adopté le règlement n° 2015/2120 il y a un peu plus de deux ans. Ce texte reconnaît pour la première fois dans l'ordre juridique européen et français donc, le principe de neutralité du Net. Aussi, en France, la neutralité du Net a été inscrite dans la loi 2016-1321 du 07/10/2016 "Pour une République Numérique" en application du règlement européen précité et qui continuera à protéger tous les internautes» rappelle Cécile Untermaier.
Pour la députée, «il convient désormais de progresser et d'aller au-delà de la reconnaissance d'un "droit créance" d'accès à internet pour faire du droit d'accès à internet et de ses corollaires —principe de neutralité des réseaux, droit à la formation au numérique- un droit fondamental reconnu par la Constitution.»
«L'Union européenne a voté des directives, mais chaque État-membre a sa propre régulation. Avec cette proposition, la France pourrait s'inscrire comme le pilier de l'internet libre», conclut Cécile Untermaier.
« Enquêtes sur les pesticidesInterdire Facebook aux moins de 16 ans? «Mieux vaut éduquer qu'interdire bêtement» »