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Des «armes de guerre» ont bien été utilisées par les gendarmes à Sainte-Soline, contrairement à ce qu’affirme Gérald Darmanin
Des «armes de guerre» ont bien été utilisées par les gendarmes à Sainte-Soline, contrairement à ce qu’affirme Gérald Darmanin
par Fabien Leboucq et Anaïs Condomines
publié le 28 mars 2023 à 17h49Tentative de désamorçage du ministre de l’Intérieur, lundi 27 mars, à l’issue d’un samedi de violences à Sainte-Soline (Deux-Sèvres). Au cours d’une manifestation contre un chantier de bassine, une quarantaine de gendarmes ont été blessés, selon les autorités, et plus de 200 manifestants, selon les organisateurs. Deux d’entre eux sont aujourd’hui dans le coma, dont un homme de 32 ans avec un pronostic vital engagé. Les organisateurs recensent également au moins un éborgnement, une autre personne risquant également de perdre son œil, selon un communiqué envoyé ce mardi.
En conférence de presse, Gérald Darmanin a donc assuré que «non, aucune arme de guerre n’a été utilisée à Sainte-Soline. Seules des armes intermédiaires ont été utilisées, par contre des armes de guerre de la part de certains casseurs l’ont été, notamment je pense aux cocktails Molotov».
En réalité, parmi les plus de 5000 grenades utilisées en moins de deux heures par les gendarmes (selon le décompte des autorités), plusieurs appartiennent, légalement, à la catégorie des armes de guerre.
Des armes classées en «catégorie A2»
Sur place, Libération a pu constater l’ampleur de l’arsenal déployé. D’abord, beaucoup de grenades lacrymogènes ont été utilisées. A cela s’ajoutent un grand nombre de GM2L (pour «grenade modulaire 2 effet lacrymogène»), qui produisent une forte explosion et, en même temps, libèrent du gaz lacrymogène. Cette grenade a succédé à la GLI-F4, qui a mutilé plusieurs manifestants pendant le mouvement des gilets jaunes. Le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner a annoncé l’arrêt de l’utilisation de la GLI-F4 en 2020, mais sa production avait cessé dès 2014. De plus, d’après nos constatations samedi dans les Deux-Sèvres, des lancers de grenade de désencerclement ont été effectués par les gendarmes. Nous avons noté plusieurs tirs de LBD (ou encore l’emploi de canons à eau, et de produit marquant) ainsi que le recours à des lanceurs de grenades type cougars. Des caractéristiques techniques de ces différentes armes sont rassemblées par le journaliste Maxime Sirvins, sur son site maintiendelordre.fr.
Or ce matériel repéré sur le terrain relève bien de la catégorie arme de guerre, dont la loi s’emploie à restreindre l’acquisition et la détention. «La classification d’armes est prévue dans le code de sécurité intérieure», explique ainsi à CheckNews Emilie Schmidt, responsable programme et plaidoyer sûreté et libertés chez ACAT France, une ONG chrétienne contre la torture et la peine de mort. «Plus précisément, l’article R 311-2 définit les armes classées en catégorie A2, soit les armes relevant des matériels de guerre, des matériels destinés à porter ou à utiliser au combat les armes à feu et les matériels de protection contre les gaz de combat.» Elle poursuit : «Aux 4e et 5e paragraphes, on retrouve les lance-grenades de tout calibre, les lance-projectiles et systèmes de projection spécifiquement destinés à l’usage militaire ou au maintien de l’ordre, ainsi que leurs munitions.»
Un autre article est même encore plus précis. Aymeric Elluin, chargé du plaidoyer «armes» chez Amnesty International, contacté par CheckNews, se réfère à l’article D211-17 du même code, qui a le mérite de résumer les choses et prévoit une liste d’«armes à feu susceptibles d’être utilisées par les représentants de la force publique pour le maintien de l’ordre public».
«On y voit que les cougars, soit lanceurs de grenades de 56 mm et leurs munitions, appartiennent effectivement à la catégorie A2», détaille-t-il. «Même chose pour les GM2L, repérées sur le terrain, qui sont des grenades instantanées et à double effet sonore et lacrymogène. En fait, il faut noter que les grenades à double effet relèvent forcément du matériel de guerre», précise Aymeric Elluin. Ce dernier nous renvoie d’ailleurs vers une question écrite posée par un député, en 2011, au sujet des exportations de matériel au Bahreïn. Dans sa réponse, le gouvernement reconnaissait alors volontiers que «les grenades à effets multiples sont des matériels de guerre et dépendent, à ce titre, d’autorisations délivrées par la commission interministérielle pour l’étude pour l’exportation des matériels de guerre». Par ailleurs, ce texte mentionne aussi les «grenades à main de désencerclement» ; et les GENL utilisées à Sainte-Soline font bien partie de cette catégorie.
Exception notable : l’usage de gaz lacrymogène, autorisé en France pour le maintien de l’ordre et paradoxalement… interdit en temps de guerre par la Convention sur l’interdiction des armes chimiques, comme l’expliquait CheckNews dans un article de 2018.
Une dangerosité qui pose question
Pour Aymeric Elluin néanmoins, cette classification «ne veut pas dire que ces armes sont nécessairement utilisées sur des terrains de guerre. Ces matériels peuvent avoir pour destinataires des forces armées comme des forces intérieures, pour faire du maintien de l’ordre». Il ajoute : «Mais si ces armes sont classées parmi le matériel de guerre, ce n’est pas une lubie. C’est qu’elles sont reconnues comme étant suffisamment dangereuses pour faire l’objet d’un régime d’exception : c’est-à-dire qu’on ne peut pas les exporter librement, sauf licence d’exportation, ni les acquérir pour soi-même.»
Car au-delà de la classification des armes dans une catégorie ou une autre, c’est bien la question de leur dangerosité qui se pose. Par exemple, la GM2L, même si elle n’est censée produire que des effets sonores et lacrymogènes, peut blesser gravement quand elle explose. «On a des photos de personnes qui étaient à Sainte-Soline qui ont des parties entières de grenade dans le corps. Par exemple, une jambe a été pénétrée en profondeur par un bouchon d’allumage d’une grenade [GM2L]. Celui-ci, en plastique, avec des parties métalliques, a été séparé du reste de la grenade à une vitesse suffisante pour s’incruster dans les chairs d’une personne», nous rapporte Ian, porte-parole du collectif Désarmons-les, qui documente et milite contre l’armement policier. C’est aussi ce dont témoigne le reporter Adcazzz, blessé à la jambe à Sainte-Soline par une de ces grenades (attention images choquantes).
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