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    Les Khmers rouges (en khmer : Khmaer Krahom ខ្មែរក្រហម) sont le surnom d'un mouvement politique et militaire communiste radical d'inspiration maoïste, qui a dirigé le Cambodge de 1975 à 1979.

    Apparu sous une première forme en 1951, le mouvement a cessé d'exister en 1999. Sa direction a été constituée jusqu'en 1981 par le Parti communiste du Kampuchéa, dit également Angkar អង្ការ (« Organisation »). De 1962 à 1997, le principal dirigeant des Khmers rouges a été Saloth Sâr, plus connu sous le nom de Pol Pot.

    Les Khmers rouges ont pris le pouvoir au terme de plusieurs années de guerre civile, établissant le régime politique connu sous le nom de Kampuchéa démocratique. Entre 1975 et 1979, période durant laquelle ils dirigèrent le Cambodge, leur organisation a mis en place une dictature d'une extrême violence chargée, dans un cadre autarcique, de créer une société communiste sans classes, purgée de l'influence capitaliste et coloniale occidentale ainsi que de la religion.

    Le régime Khmer rouge s'est rendu coupable de nombreux crimes de masse, en particulier de l'assassinat de plusieurs centaines de milliers de Cambodgiens, selon les estimations minimales. Le Programme d'Étude sur le génocide cambodgien de l'université Yale évalue le nombre de victimes à environ 1,7 million1, soit plus de 20 % de la population de l'époque. Chassés du pouvoir au début de 1979 par l'invasion vietnamienne du Cambodge, les Khmers rouges mènent ensuite une nouvelle guérilla, jusqu'à leur disparition à la fin des années 1990.

     

     
     

    Drapeau du Kampuchéa démocratique.

     

    Appellations

    Le nom de Khmers rouges recouvre, dans les faits, un ensemble de mouvements ayant connu différents noms officiels, mais ayant en commun la permanence, à partir du début des années 1960, d'un même noyau dirigeant. Le surnom Khmers rouges leur a été attribué par Norodom Sihanouk dans les années 1950 et est utilisé couramment, en français, à travers le mondenote 1. Eux-mêmes n'utilisaient pas ce terme.

    Pour ce qui est des dénominations officielles, le parti politique composant le noyau dirigeant s'est intitulé successivement Parti révolutionnaire du peuple khmer, puis Parti ouvrier du Kampuchéa, puis Parti communiste du Kampuchéa, cette dernière dénomination restant secrète jusqu'en 1977. Le terme Angkar padevat (« Organisation révolutionnaire ») ou simplement Angkar était utilisé pour désigner la direction du parti et, par extension, celle du mouvement, voire le mouvement dans son ensemble. Le parti a été remplacé en 1981 par le Parti du Kampuchéa démocratique. Le Parti de l'unité nationale cambodgienne, autre vitrine politique des Khmers rouges, a existé au début des années 1990.

    Le régime politique au pouvoir de 1975 à 1979, portait le nom de Kampuchéa démocratique, nom ensuite revendiqué par le gouvernement khmer rouge en exil. Un organisme destiné à gérer l'ensemble des activités du mouvement a été créé en 1979, sous le nom de Front de la grande union nationale démocratique patriotique du Kampuchéa.

    Sur le plan militaire, les forces armées khmères rouges ont successivement porté le nom d'Armée révolutionnaire du Kampuchéa (1968-1970, puis 1975-1979), Forces armées populaires de libération nationale du Kampuchéa (1970-1975), et enfin Armée nationale du Kampuchéa démocratique (en) (après 1979).

    Au Cambodge même, la désignation a-Pot (terme péjoratif pouvant se traduire par « Polpotistes ») est couramment employée : ce fut notamment le cas sous le régime de la République populaire du Kampuchéa dont les dirigeants, eux-mêmes anciens Khmers rouges, tenaient à se démarquer du camp de Pol Pot2.

     

    Naissance du mouvement

    Article détaillé : Parti communiste du Kampuchéa.

    Les communistes cambodgiens durant la guerre d'Indochine

    Article détaillé : Khmers issarak.

    Le premier avatar du futur mouvement khmer rouge apparait lors du protectorat français. Durant la guerre d'Indochine, le Việt Minh réorganise ses alliés parmi les Khmers et les Lao dans le but de structurer les guérillas communistes locales. Chacun des mouvements indépendantistes des trois pays de l'Indochine française doit alors être doté d'un parti distinct du Parti communiste indochinois (PCI, fondé en 1930) et essentiellement formé de Vietnamiens. Le PCI devient, lui-même, le Parti des travailleurs du Viêt Nam. Le parti cambodgien est formé en 1951, sous le nom de Parti révolutionnaire du peuple khmer (PRPK). Il est placé sous la présidence de Son Ngoc Minh, chef du gouvernement indépendantiste cambodgien. À l'origine, le parti est destiné à constituer le noyau dirigeant de la tendance communiste des Khmers issarak.

    Formation politique en France

    Une partie des futurs dirigeants khmers rouges effectuent, durant la guerre d'Indochine, leurs études en France. Membres de l'Association des étudiants khmers de France (AEK), présidée à partir d'octobre 1951 par le futur ministre Hou Yuon, ils se rallient progressivement à l'idéologie communiste. Lors d'une réunion à Sceaux, un groupe d'étudiants cambodgiens forme un « Cercle marxiste », placé sous la direction de Ieng Sary, assisté de Thiounn Mumm et Rath Samoeun. Le « Cercle marxiste », dont l'existence n'est pas publique, fonctionne comme un noyau dirigeant secret de l'AEK. Saloth Sâr (futur Pol Pot), le rejoint quelque temps après sa formation3. Les étudiants communistes cambodgiens, parmi lesquels on trouve Son Sen et Khieu Samphân, étudient les textes de Karl Marx, Lénine ou Staline4. Plusieurs d'entre eux, comme Saloth Sâr, Ieng Sary et Mey Mann, adhèrent au Parti communiste français. Ieng Sary rend la lecture de L'Humanité obligatoire au Cercle5.

    Fin de la guerre d'Indochine

    Saloth Sâr et Rath Samoeun reviennent en Indochine française en 1953, et rejoignent un camp Việt Minh. Les activités du Parti révolutionnaire du peuple khmer sont alors totalement contrôlées par les communistes vietnamiens6, au point que les issarak communistes sont surnommés par les Français « Khmers Việt Minh ». Malgré la participation des Khmers issarak à la lutte indépendantiste, c'est finalement l'action du roi Norodom Sihanouk qui entraîne la reconnaissance par la France, à la fin 1953, de l'indépendance du royaume du Cambodge. À la fin de la guerre d'Indochine, les « Khmers Việt Minh », conformément aux accords de Genève, déposent les armes ou se réfugient au Nord Viêt Nam. Malgré la fin du mouvement Khmer issarak, le Parti révolutionnaire du peuple khmer continue d'exister au Cambodge, mais doit limiter ses activités. Son Ngoc Minh résidant désormais à Hanoï, il est remplacé comme secrétaire général par Sieu Heng, mais le principal dirigeant du parti, en tant que responsable des zones urbaines, est Tou Samouth.

    Opposition à Norodom Sihanouk

    La participation de quelques intellectuels dits "progressistes" aux gouvernements du royaume du Cambodge reste provisoire et symbolique, la vie politique du pays étant dominée par le Sangkum Reastr Niyum, mouvement initié par le roi (puis premier ministre, puis chef de l'État à vie) Norodom Sihanouk. Les communistes cambodgiens, dont le parti demeure clandestin, ont pour vitrine légale le Pracheachon (littéralement Groupe du peuple), dirigé par Keo Meas. C'est durant les années 1950 que Sihanouk commence à utiliser l'expression Khmers rouges (reproduite en français dans le texte par les médias internationaux) pour désigner les communistes cambodgiens, par opposition aux « Khmers roses » du Parti démocrate, aux « Khmers bleus » réclamant la formation d'une république du Cambodge et aux « Khmers blancs » royalistes7. Tout en se rapprochant progressivement, sur le plan international, du camp communiste et notamment de la République populaire de Chine, Sihanouk réprime l'opposition de gauche cambodgienne et compromet tout développement électoral des communistes locaux. Ieng Sary retourne au Cambodge en janvier 1957, laissant à Khieu Samphân la direction du Cercle marxiste, et retrouve un mouvement communiste khmer qui lui apparaît alors moribond8. Khieu Samphân, revenu en 1959 au Cambodge, occupe un poste universitaire et dirige un hebdomadaire d'opposition de gauche, L'Observateur, ce qui lui vaut d'être passé à tabac en pleine rue par des hommes de main de l'appareil d'État. Le Pracheachon se présente à plusieurs scrutins électoraux, mais l'opposition à Sihanouk fait l'objet de mesures d'intimidation continuelles. Sieu Heng, le chef du PRPK, se révèle être en cheville avec le gouvernement et fait défection en 1959, rejoignant le camp de Sihanouk. Au printemps 1960, le PRPK adopte le nouveau nom de Parti ouvrier du Kampuchéa. Le secrétaire du parti, Tou Samouth, est suivi dans la hiérarchie par Nuon Chea, Saloth Sâr et Ieng Sary. C'est alors la première fois que les communistes cambodgiens choisissent eux-mêmes leur direction, en dehors de la tutelle de leurs alliés vietnamiens9. Durant cette même période, et dans le cadre de sa politique neutraliste, Sihanouk confie des postes ministériels à des hommes de gauche, dont Khieu Samphân, Hou Yuon, et Hu Nim, ignorant que ces trois derniers, qui jouissent d'un certain prestige, sont secrètement membres du parti communiste cambodgien10.

    À partir de 1962, la direction nationale du parti (dite également Centre11) passe pour l'essentiel sous le contrôle des anciens étudiants parisiens12. En juillet, Tou Samouth disparait, probablement arrêté, torturé et tué par des hommes du général Lon Nol, ministre de l'intérieur de Sihanouk. Saloth Sâr est élu secrétaire général du parti pour le remplacer. Alors que Khieu Samphân, Hou Yuon et Hu Nim se sont alors résolus à coopérer avec Sihanouk pour tenter d'assainir la situation du Cambodge, allant jusqu'à adhérer au Sangkum Reastr Niyum, le futur Pol Pot est d'ores et déjà résolu à l'action violente13.

    Passage à la clandestinité et guerre civile

    Réorganisation

    Constatant leur manque de moyens sur le terrain politique légal, et craignant de devoir subir une répression accrue, les chefs du Parti prennent le maquis en 1963, rejoignant d'abord des bases tenues par le Front national de libération du Sud Viêt Nam (Việt Cộng). Ils y apprennent les fondements de la gestion politique de la population et du contrôle policier qu'ils allaient appliquer une fois au pouvoir. En 1964, Saloth Sâr obtient d'établir le camp des Khmers à l'écart de celui des Vietnamiens. À l'automne, le plénum du comité central du parti se réunit dans une forêt et établit une résolution approuvant « toutes les formes de lutte » contre le gouvernement de Sihanouk. Les communistes cambodgiens sont cependant en porte-à-faux avec les Vietnamiens, qui considèrent Sihanouk comme un « patriote » du fait de ses positions anti-américaines14. Entre avril 1965 et février 1966, Saloth Sâr et Keo Meas séjournent à Hanoï, mais n'obtiennent pas le soutien espéré de la part de leurs alliés, qui leur conseillent de ménager Sihanouk. Saloth Sâr séjourne également à Pékin, en République populaire de Chine, en décembre 1965, et décide à cette occasion de se rapprocher des Chinois, dont il se sent politiquement et stratégiquement plus proche. Décidés à se débarrasser à terme de la tutelle vietnamienne, les dirigeants khmers rouges rebaptisent secrètement leur parti, en octobre 1966, du nom de Parti communiste du Kampuchéa, seuls les membres du Centre étant au courant de ce changement. La base khmère rouge est éloignée de celle des Vietnamiens, et les différents comités de zone du mouvement se livrent à des préparatifs en vue du passage à la lutte armée15. Dans le courant 1967, Khieu Samphân, Hou Yuon, et Hu Nim, rejoignent les maquis16. La plupart des observateurs et des acteurs politiques cambodgiens considèrent alors que les trois hommes, mystérieusement disparus, ont été tués par la police de Sihanouk17 et l'annonce de leur présence aux côtés des Khmers rouges passe, un temps, pour une manipulation : surnommés « les trois fantômes », Khieu Samphân, Hou Yuon et Hu Nim sont présentés comme les dirigeants du mouvement, auquel ils donnent une aura de respectabilité, mais le vrai pouvoir demeure entre les mains de Saloth Sâr, de Nuon Chea, de Son Sen et de l'entourage de ces derniers, qui demeurent éloignés du devant de la scène. Les Khmers rouges continuent de fonctionner selon une logique du secret, ne révélant ni l'identité de leurs véritables dirigeants, ni même l'existence du Parti communiste du Kampuchéa. Au sein du mouvement, le PCK est désigné sous le nom de l’Angkar អង្ការ (« l’organisation ») et seul le petit cercle de ses dirigeants connaît sa véritable nature18.

    Début de l'insurrection

     
    Saloth Sâr, alias Pol Pot, alias « Frère numéro 1 », ici en 1978.

    Les troupes des Khmers rouges, baptisées du nom officiel d'Armée révolutionnaire du Kampuchéa19, lancent leur soulèvement proprement dit le 18 janvier 1968. Les premières opérations sont de petite envergure, mais leur permettent de s'emparer d'armes. En février et mars, des soulèvements sont lancés dans plusieurs provinces du Nord et du Sud-Ouest. Le surnom de « Khmers rouges », qui désignait auparavant, de manière générique, les communistes cambodgiens dans leur ensemble, devient celui des insurgés. À travers tout le pays, dix mille villageois quittent leurs foyers pour rejoindre les rebelles. Les révoltés manquent cependant encore cruellement de moyens, notamment pour ce qui est des communications, et Lon Nol, rappelé par Sihanouk au poste de ministre de la défense, puis de premier ministre, applique contre eux une politique de la terre brûlée. Les chefs militaires khmers rouges comme Ta Mok dans le Sud-Ouest, ou So Phim dans l'Est, dont les zones d'opérations sont isolées les unes des autres, doivent agir indépendamment, attendre des mois leurs ravitaillements en armes et souvent se contenter d'effectuer des raids-éclairs. À la fin 1968, les agissements des rebelles sont tout de même signalés dans douze des dix-neuf provinces du Cambodge20.

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