• La bataille des mémoires fait rage entre l’Espagne et le Mexique

    La bataille des mémoires fait rage entre l’Espagne et le Mexique

    Mexico - L’Espagne a boycotté le 1er octobre l’investiture de Mme Sheinbaum, parce qu’elle n’a pas invité le roi. Le pouvoir de gauche au Mexique lui demande toujours des excuses pour la Conquista et les « dommages » subis par les peuples indigènes
     
    AFP - Sheinbaum Felipe VI.jpg
     
    Cette combinaison de photos créée le 25 septembre 2024 montre la président du Mexique (à gauche) pendant une conférence de presse le 11 juin 2024 et le roi d'Espagne Felipe VI (à droite) à son arrivée au San Salvador le 31 mai 2024.  -  Marvin RECINOS, Yuri CORTEZ - Mexico (AFP)

    A Mexico cette semaine, une centaine de personnes se sont pressées à la présentation du documentaire « Hispano-américa, chant de vie et d’espérance » à la gloire de l'œuvre civilisatrice des « Conquistadores » dans le Nouveau Monde. La thèse du film, tourné au Mexique, au Pérou, en Equateur et en Bolivie, est simple : l’Espagne a civilisé une région barbare par la religion et la musique, avec pour héritage la grandeur de l’architecture baroque.

     

    Le réalisateur espagnol José Luis Lopez-Linares « offre une vision renouvelée » de la « Conquista », souligne le dossier de ce documentaire qui doit sortir jeudi dans 80 salles au Mexique. « C’est un pamphlet ordurier, manipulateur et raciste qui cherche à falsifier l’histoire », s’est emporté le journaliste culturel José Juan de Avila joint par l’AFP, après avoir été réduit au silence par les cris du public acquis aux thèses du film pendant la présentation.

    « Bases idéologiques ». Le documentaire ne mentionne aucun aspect négatif de la colonisation : indiens massacrés, morts de la variole, convertis de force au christianisme ou réduits au travail forcé. Ce travail « s’appuie sur des bases idéologiques créées en son temps par le Franquisme, c’est-à-dire l’apologie débridée de l'œuvre de l’Espagne en Amérique’ », avait fulminé l’historien espagnol Carlos Martinez Shaw lors de sa sortie en Espagne en avril dans 59 salles. Le roi Felipe VI avait assisté à la première à Madrid.

    Ce documentaire est présenté au Mexique en pleines commémorations du 12 octobre, fête nationale en Espagne, mais jour de la « diversité culturelle » dans des pays d’Amérique latine comme le Mexique et la Colombie, voire jour de la « résistance indigène ». Surtout, le film est lancé en pleine crise ouverte entre le roi Felipe VI et la nouvelle présidente mexicaine de gauche Claudia Sheinbaum.

    L’Espagne a boycotté le 1er octobre l’investiture de Mme Sheinbaum, parce qu’elle n’a pas invité le roi. Le pouvoir de gauche au Mexique lui demande toujours des excuses pour la Conquista et les « dommages » subis par les peuples indigènes. Mme Sheinbaum a mis vendredi le roi d’Espagne au défi de profiter du 12 octobre pour « commencer les procédures d’excuses publiques aux peuples originaires du Mexique ». Maire de Mexico (2018-2023), l’actuelle présidente avait fait enlever la statue de Christophe Colomb dans le centre de la capitale pour la remplacer par la figure d’une femme indigène.

    « Légende noire » ? Le débat « reste très fort », explique à l’AFP l’historien mexicain Federico Navarrete de l’Université Nationale Autonome du Mexique (UNAM). La querelle renvoie au « privilège des personnes blanches et d’origine européenne dans notre pays » et aux « inégalités qui existent toujours au Mexique » en fonction de la couleur de la peau, ajoute-t-il.

    Le débat existe aussi en Espagne. A l’occasion du 12 octobre, quelque 200 affiches ont été placardées dans des lieux publics à Madrid et d’autres villes avec un slogan à la gloire des « Conquistadores » : « Ni génocidaires, ni esclavagistes, ils furent des héros et des saints. Joyeuse journée de l’Hispanité ! ».

    La campagne a été lancée par l’Association catholique propagandiste (ACP) qui explique vouloir « démonter les clichés de la légende noire » des crimes de la colonisation espagnole. « Aussi bien en Espagne qu’au Mexique, ce sont des questions de politiques intérieures », ajoute l’historien mexicain Alfredo Avila. « Il y a dans les deux cas des intérêts nationalistes », ajoute-t-il.

    « Base électorale ». « Au Mexique, il y a la volonté de souder la base électorale » de la gauche au pouvoir en demandant des excuses à l’Espagne, décrypte aussi David Marcilhacy, professeur d’histoire hispanique à Sorbonne-Universités. Jeudi, résidence de l’ambassadeur d’Espagne à Mexico. Des centaines de personnes se pressent à la réception donnée par l’ambassadeur espagnol Juan Duarte Cuadrado à l’occasion de la Fête du 12 octobre.

    Sous les applaudissements, l’ambassadeur insiste sur les liens profonds entre l’Espagne et le Mexique, prenant l’exemple des plus de 50 vols hebdomadaires entre les deux pays : « Ces vols nous unissent sur le plan politique, économique et permettez-moi de vous le dire, sur le plan émotionnel ». L’Espagne est le premier investisseur européen au Mexique, avec des entreprises leaders dans leur secteur, comme la banque BBVA.

    Le débat n’est pas spécifique à l’Espagne et ses anciennes colonies. Le président algérien Abdelmadjid Tebboune vient de qualifier la colonisation française de « génocide », écartant l’idée d’une visite à Paris. En août 2022, le président Macron en visite en Algérie avait convenu avec son homologue algérien de créer une commission d’historiens binationale sur la colonisation et la guerre d’indépendance (1830-1962).

    Samir TOUNSI

    © Agence France-Presse

     
    « Rachida Dati veut une réforme profonde du Pass Culture, totem d’Emmanuel MacronUkraine: Volodymyr Zelensky dit vouloir obtenir la fin de la guerre en 2025 »