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« Le soir, j’en pleure… » : Stéphane, agricultrice, raconte son désespoir
« Le soir, j’en pleure… » : Stéphane, agricultrice, raconte son désespoir
Alors que le monde agricole manifeste son refus de l’accord Mercosur, cette arboricultrice de 53 ans tente de sauver son exploitation malgré les dettes, le poids des normes et les aléas climatiques.
Stéphane, une arboricultrice de 53 ans, est à bout de forces. Dans son exploitation située dans le Bergeracois (Nouvelle-Aquitaine), l'agricultrice récolte depuis 1997 prunes, noix et noisettes. Et depuis une vingtaine d'années, elle a vu son métier se métamorphoser et ses conditions de travail se dégrader. « Nous avons une agriculture bien plus technique, avec des normes, des outils supprimés et non remplacés, des engrais plus vertueux mais plus chers, et qui est très impactée par le changement climatique », explique Stéphane.
Avec ses 80 hectares de pruniers, 30 hectares de noyers et une dizaine d'hectares de noisetiers, l'arboricultrice est confrontée depuis plusieurs mois à d'importants soucis de trésorerie. « Les aléas climatiques s'enchaînent depuis sept ans pour nous, et mon plus gros problème, c'est le gel. En 2021, 85 % de mes pruniers ont gelé, en 2022, c'était 97 %. Mais nos charges restent les mêmes, voire augmentent avec l'inflation. »
« Qu'est-ce qu'on a d'autre comme solution… »
Depuis le printemps dernier, Stéphane peine à garder la tête hors de l'eau. Pour survivre, elle accumule les prêts à court terme pour se rémunérer, payer ses salariés, ses charges et son matériel. « Mais j'ai très peur que ces courts termes se retournent contre moi l'année prochaine. Si une nuit de fin mars, même quelques heures, le mercure atteint les - 3 ou - 4 degrés, c'est fini pour l'année. »
Parmi ses nombreuses difficultés, on retrouve aussi le poids des normes. Pour mémoire, lors des manifestations d'agriculteurs de janvier 2024, les agriculteurs dénonçaient les nombreuses normes environnementales venant asphyxier les exploitations. « Nous sommes convaincus qu'il faut prendre le virage du climat, mais si nos exploitations disparaissent avant, nous aurons une agriculture en friche », s'inquiète Stéphane.
Aujourd'hui, entre les dettes et les faibles rendements de son exploitation, Stéphane est plongée dans une spirale infernale. « Le soir, j'en pleure, me disant qu'il vaudrait mieux arrêter les dégâts et fermer mon exploitation », glisse-t-elle. Pis, elle en vient à penser à mettre fin à ses jours.
« Qu'est-ce qu'on a d'autre comme solution… Mon grand-père et mon père ont fait prospérer cette exploitation et puis, d'un coup, nous, on n'y arrive plus… Les aléas climatiques… Le fait qu'on n'arrive plus à produire puisqu'on nous retire des outils, des solutions… Mais il faut que je me batte pour mes ouvriers. » Elle ajoute, la voix tremblotante : « Ça me mine de me dire qu'un jour, peut-être, il faudra que je leur dise que c'est fini. » Et Stéphane est loin d'être un cas isolé : selon une étude de 2019 de Santé publique France, une exploitante agricole sur cinq serait touchée par la dépression, contre près de 14 % des agriculteurs.
« Je n'ai pas envie d'embêter les Français à l'approche de Noël »
Stéphane en appelle à un changement du modèle agricole pour permettre de mieux rémunérer les producteurs français. « Je vends à perte mes prunes depuis sept ans, et peu de consommateurs sont prêts à payer plus cher ; tout le monde fait des économies sur les budgets alimentaires. »
Ses comptes toujours dans le rouge, elle hésite à faire une demande de revenu de solidarité active (RSA). « C'est une dégringolade terrible… » Selon l'Insee, le taux de pauvreté des ménages agricoles s'élève à un peu plus de 18 % en 2018, soit près de 3 points de plus que celui de l'ensemble de la population, et 5 points de plus que celui des ménages ayant un revenu d'activité.
Cependant, elle a choisi de ne pas s'associer aux actuels mouvements de protestation des agriculteurs, qui s'opposent à l'accord de libre-échange UE-Mercosur et dénoncent leurs difficultés, notamment administratives. « Je comprends leur colère, mais la misère que nous vivons dans le monde agricole est similaire à beaucoup d'autres professions. Je n'ai pas envie d'embêter les Français à l'approche de Noël. J'aimerais plutôt qu'on se remette autour de la table, qu'on discute et qu'on trouve des solutions. »
Un appel du Premier ministre
Dimanche 17 novembre, quelques jours après avoir témoigné de sa détresse sur les ondes de France Bleu, l'arboricultrice a reçu un appel inattendu. « J'étais en train de travailler quand mon téléphone a sonné. J'ai vu que c'était un 01 et j'ai immédiatement pensé que c'était un spam. J'ai tout de même décroché, et une voix grave m'a dit : “Bonjour Stéphane, c'est Michel Barnier.” » Quelques jours auparavant, le Premier ministre avait entendu sur le plateau de France Bleu le témoignage de Stéphane et avait été ému.