Ce n’est pas la prise de la Bastille, mais certainement une petite «vélorution». Dès la mi-octobre, les automobilistes ne circuleront plus que sur une file rue de Rivoli, entre Saint-Paul et l’hôtel de ville. D’ici au mois d’avril 2018, c’est la totalité de cet axe (de la place de la Bastille à la place de la Concorde) qui passera progressivement à une seule voie de circulation automobile.L’espace libéré sera réservé aux vélos et aux bus. La mairie vient d’y engager l’installation d’une piste cyclable à double sens de 4 mètres de large, divisant par deux l’espace dédié aux voitures.

Le cas de la rue de Rivoli, artère majeure qui traverse le centre de la capitale d’est en ouest, apparaît comme un tournant dans la longue lutte qui, depuis trente ans, a marqué le recul de la place de la voiture, polluante, au profit des moyens de se déplacer «doux» ou collectifs. Et cela ne va pas sans résistance. Début août, le préfet de police de Paris, Michel Delpuech, poussé par ses services techniques, est monté au créneau, étalant ses inquiétudes concernant les véhicules prioritaires à grands coups de courriers et d’interviews dans la presse. «Je suis inquiet des difficultés que va poser l’aménagement tel qu’il est prévu pour les véhicules de secours et d’intervention de la police dans un contexte où les congestions vont croissant», déclarait-il ainsi au Monde, le 18 août. «C’est un discours tout automobile, droit sorti du XXe siècle», s’indigne-t-on à la mairie.

«Détermination»

Cette bataille de la rue de Rivoli, avant tout symbolique, signe le début de la fin des autoroutes urbaines, ces axes rouges qui abondent dans la capitale. Après les voies sur berges piétonnisées l’année dernière, d’autres axes emblématiques de Paris vont bientôt suivre, dont les mythiques Champs-Elysées, en travaux dès l’été prochain. Côté mairie, «la détermination est complète, Paris est en retard», tranche Matthieu Lamarre, directeur de la communication. L’enjeu est avant tout sanitaire et social. Le développement du vélo urbain est l’un des instruments de lutte contre la pollution générée par les véhicules motorisés, et son effet délétère sur la santé, comme l’ont démontré en vingt ans pléthore d’études, alimentées par des réseaux de capteurs dont toutes les grandes villes sont désormais équipées. «La pollution, ça tue. Voilà. Ça tue, on le sait», a rappelé lundi Anne Hidalgo au micro de France Info.

Pour rattraper les paradis européens de la bicyclette que sont Copenhague ou Amsterdam, ou simplement se hisser au niveau de Strasbourg, Lyon ou Nantes, Anne Hidalgo met les bouchées doubles. Son plan Vélo 2020, voté à l’unanimité par le Conseil de Paris en 2015, lui donne une légitimité. Pour faire passer la part des trajets en vélo de 5 % à 15 %, l’un des objectifs, un budget de 150 millions d’euros a été débloqué. L’ambition ? Doubler le nombre de pistes cyclables pour atteindre 1 400 kilomètres, créer 10 000 nouvelles places de stationnement pour vélo, généraliser les zones limitées à 30 km/h et sécuriser les rouleurs, sans oublier le réseau express vélo, des grands axes cyclables est-ouest et nord-sud traversant la capitale. «Sur le papier, c’est un plan intéressant, a priori ambitieux et doté de moyens»,reconnaît Simon Labouret, porte-parole de l’association Paris en Selle. avant de nuancer : «Mais les retards sont importants. D’après notre observatoire, au début de l’été, seulement 5 % des installations de voirie en direction des cyclistes étaient déployées.» L’adjoint au transport, Christophe Najdovski, se veut rassurant : «Nous avons mis un coup d’accélérateur cette année, puis nous entrerons dans le rythme de croisière des aménagements.»

C’est sans compter sur les oppositions de toutes parts qui devraient encore ralentir le processus. L’unanimité lors du vote en avril 2015 a fait long feu. Du côté des élus, la maire du Ve arrondissement, Florence Berthout (LR), s’agace de cette «mise en place extravagante, contraignante et dramatiquement polluante ». Un argument souvent brandi par les antivélos qui dénoncent les embouteillages générés par les pistes cyclables. Pas mieux au niveau de la région avec sa présidente, Valérie Pécresse (LR), qui rumine «la souffrance des Franciliens dans les transports», tout en subventionnant en priorité les aménagements cyclables des villes de droite et en lançant un appel d’offres de 200 millions d’euros pour équiper la région en vélos électriques. Une souffrance néanmoins bien réelle, puisqu’il est indéniable que certains habitants de la grande couronne auront bien du mal à se passer de leur voiture, ne serait-ce que pour arriver à l’heure au travail (en juillet, la ponctualité du RER A n’était que de 70,8 %). La grogne monte sans surprise parmi les automobilistes et professionnels, sur les réseaux sociaux et jusque dans les salons de l’hôtel de ville. «Le lobby automobile, le lobby du diesel, le lobby de ceci, cela […]. Ils sont venus me menacer dans mon bureau en me disant : "Si vous n’arrêtez pas avec cette politique de lutte contre la pollution et d’évolution de la mobilité parisienne, nous vous ferons battre aux prochaines élections"», a dénoncé Hidalgo lundi sur France Info. «Le problème c’est que nous ne sommes pas du tout consultés, pourtant la route c’est notre job. Les chauffeurs sont à bout», enrage Christophe Van Lierde, vice-président d’une fédération de taxis, qui n’exclut pas une mobilisation en septembre.

«La route, c’est notre job»

Sur les axes concernés, les commerçants craignent pour leurs livraisons et leur fréquentation. Un livre paru fin août intitulé Notre-Drame de Paris fustige Anne Hidalgo. Airy Routier et Nadia Le Brun, dont la haine pour la maire de Paris est connue, y écrivent que «la reine de Paris est ainsi devenue le symbole assumé de l’écologie punitive», et que sa «détestation de la voiture […] est pathologique», sans parvenir à argumenter leurs critiques. En fait, absolument tout le monde semble trouver quelque chose à redire au plan d’Anne Hidalgo. Même le ministère de la Défense fait pression pour que la piste cyclable des Champs-Elysées ne soit pas au centre pour ne pas gêner le défilé des chars du 14 Juillet… Les cyclistes, eux, ne crient pas victoire. Et les plus exigeants refusent de se contenter d’aménagements qu’ils jugent incomplets, voire dangereux. Simon Labouret insiste pour que la qualité soit la priorité :«Il faut que les pistes soient sécurisées et continues, que tout le monde puisse en profiter et pas seulement un petit groupe prêt à affronter l’environnement urbain. Bref, que le vélo soit une évidence.»Ce n’est pas gagné. Mais comme le rappelle un vieux précepte : «La révolution, c’est comme une bicyclette, quand elle n’avance pas, elle tombe.»

Mathilde Brugniere