INTOX. Emmanuel Macron l’avait promis pendant la campagne puis annoncé cet été aux salariés de la SNCF : il compte mettre fin aux régimes spéciaux de retraite des cheminots. Une interview du Président parue dans le numéro de juillet de la revue interne à l’entreprise ferroviaire a refait surface, relançant le vieux débat (et ses approximations) sur ce que coûte la retraite des travailleurs du rail.
Dans l'interview en question, relayée par le Monde, Emmanuel Macron, reprenant les termes de son programme de campagne, dit vouloir basculer «vers un régime unique où un euro cotisé donne lieu aux mêmes droits» et met l'accent sur le coût du régime spécial cheminot : «Soyons clairs. Si nous ne réglons pas ce problème, ce sont vos enfants qui paieront.» S’appuyant sur ces déclarations, le journaliste d’Europe 1 Axel de Tarlé rappelait, le jeudi 7 septembre au matin, que ce régime coûte chaque année «3,5 milliards à l’Etat».
Approximativement à la même heure, dans la matinale de Public Sénat, Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, affirmait quant à lui exactement l'inverse : le régime de retraite de la SNCF serait «autofinancé par les cheminots», voire «excédentaire».
DESINTOX. «Les privilèges» des cheminots coûtent-ils 3,5 milliards... ou zéro ? Sur le coût du régime pour les pouvoirs publics, les chiffres donnent en apparence raison au journaliste d'Europe 1. L’Etat abonde à hauteur de 3,253 milliards au régime de retraite de la SNCF, selon le Projet de loi de finances pour 2017 – une enveloppe plutôt stable au cours des dernières années, qui représente plus de la moitié de ce que l’Etat dépense pour permettre le fonctionnement des régimes spéciaux. Les prestations versées aux personnels de la SNCF proviennent à plus de 61% de subventions de l’Etat. En moyenne, pour les régimes spéciaux, cette part s’élève à 68%, et 75% pour les retraités de la fonction publique.
Le problème, c'est que ce coût n'est pas uniquement lié aux avantages des cheminots. Et que la fin des ces derniers – qui ont déjà été en partie réformés en 2008 (1) – ne fera pas disparaître par miracle les 3,5 milliards payés annuellement. Une partie de ce coût est en effet due à la structure d’âge de la population de travailleurs du rail. Selon la Commission des finances du Sénat, en 2015, il n’y avait que 0,67 cotisants pour chaque retraité du régime de la SNCF (contre 1,3 dans le régime général), et ce chiffre continue de diminuer. C'est un des pires ratio des régimes spéciaux. Aucune réforme ne viendra rééquilibrer ce déficit démographique qui, même dans l'hypothèse d'un alignement strict sur le régime général, continuerait donc de peser sur les finances publiques.
Mais s'il est abusif de faire croire que les avantages de cheminots coûtent 3,5 milliards par an, il est mensonger de dire que leur régime est «excédentaire»... C'est pourtant l'intox que commet Philippe Martinez. Curieuse affirmation pour un régime dans lequel les cotisations rapportent à peine plus d'un tiers du financement. En fait, ce régime est strictement équilibré, mais uniquement après le versement de la subvention d'équilibre de 3 milliards d'euros. Il est arrivé une fois qu'il soit excédentaire (en 2012), ce qui avait été signalé avec ironie dans la presse... mais ce qui n'était dû, selon le Conseil d'orientation des retraites, qu'à une erreur comptable, c'est-à-dire à «un décalage entre la subvention effectivement versée et celle qui était nécessaire pour atteindre l'équilibre». Depuis, les rapports d'activité annuels de la Caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF (CPRSNCF) montrent que la subvention de l'Etat vient équilibrer à l'euro près le régime cheminot.
(1) Depuis la réforme de 2008 (Augmentation de 150 à 166 du nombre de trimestres de cotisation, instauration d’une décote et d’une surcote pour celles et ceux travaillant moins ou plus que cette durée, indexation des pensions sur l’indice des prix à la consommation -et non plus sur l’évolution des salaires), le régime cheminot s’est un peu rapproché du régime général. Résultat : l’âge de départ des cheminots ne cesse de reculer, puisqu'entre 2008 et 2015, il est passé de 55,5 à 57,5 ans pour les sédentaires, et de 50,5 à 53 ans pour les roulants, selon le COR.