• Pourquoi les Français sont-ils réfractaires au changement ?

     

    Des "Gaulois réfractaires", c'est ainsi que le Président Macron a qualifié les Français lors d'un discours en marge de son déplacement à Copenhague ce 29 août. Une phrase qui, en France, a eu l'effet d'une tornade, soulevant l'indignation de l'extrême-droite et de l'extrême-gauche qui y voient respectivement "un mépris de la France" et "une ignorance historique".

    Il est à noter que l'extrême-droite et l'extrême-gauche marchent souvent main dans la main pour agonir d'injures le Président. La fascisation des Insoumis est également un fait remarquable que peu de journalistes semblent noter : "Les Gaulois étaient de formidables inventeurs", a ainsi tweeté Alexis Corbières qui se rêve surement en Abraracourcix (Bonnemine Garrido sera contente). Outre la bêtise de ce tweet (les Gaulois n'ont rien inventé : ils n'ont fait que copier et adapter les pratiques des Celtibères et des Germains, ainsi que des Britto-Celtes qui étaient autrement plus civilisés) cette déclaration pose la question du rapport des Insoumis à l'Histoire : Qui imagine Thorez faire l'éloge du village gaulois ? Le credo des communistes a de tout temps été que l'ancien monde devait périr dans les flammes de la révolution ; or, les Insoumis semblent aujourd'hui embrasser un national-communisme à la Doriot : mélange de socialisme lumpenprolétarien et de populisme sur fond de cervoise et de sanglier. Même le grand Mélenchonnix, lors de ses meetings de campagne, a fait chanter la Marseillaise à ses ouailles qui ont troqué le drapeau rouge contre la cocarde tricolore. Et Stéphane Poussier, cadre Insoumis qui avait blagué la mort d'Arnaud Beltrame, s'est vu viré comme un malpropre par son parti… On est loin de l'époque où les professeurs communistes chantaient l'Internationale pour fêter la chute de Dien-Bien-Phu.

    Quant à l'extrême-droite, la Gaule est son fétiche, son totem intouchable, son modèle intemporel. Si cet attachement au passé celtique semble logique venant de nationalistes néopaïens (qui sont, au passage, aussi ignorants en histoire qu'en spiritualité) la chose est plus croustillante dans les rangs maurrasso-pétainistes où l'on révère volontiers le christianisme d'état et où l'on considère la France comme "la fille aînée de l'Église", une Église qui a pourtant tout fait pour détruire les fondements de la société gauloise parfois avec cruauté (déracinement d'arbres sacrés, druides noyés, conversions de force). Saint Martin, l'un des "patrons" de la France n'était-il pas un immigré pannonien battant la campagne pour y imposer aux autochtones sa religion venue des déserts arides ?

    De fait, se pencher sur l'histoire de la Gaule antique suffit à étayer les dires du Président Macron. Il a fallu plus de six ans à Rome pour venir à bout de la turbulente Gaule. L'historiographie a porté au pinacle le pitoyable Vercingétorix mais on ignore généralement que sa défaite ne fut pas synonyme d'apaisement. Bien des soulèvements eurent lieu dès le départ de César en -50 puis tout au long de la période impériale : celle de Sacrovir en 25 et de Sabinus en 69, par exemple, ainsi que les nombreuses révoltes de Bagaudes durant le Bas Empire. Si les Gaulois furent effectivement réfractaires à Rome, au point de mettre plusieurs siècles à se romaniser, ils devinrent (une fois leur romanisation achevée) les parangons autoproclamés de la romanité et ne devinrent chrétiens qu'après moult efforts de moines et de prédicateurs. La christianisation de la Gaule, commencée au IVème siècle, ne fut véritablement achevée qu'à la fin du VIIème siècle dans les campagnes. Entretemps, la Gaule avait disparu au profit d'un mélange ethnique variant Francs, Gallo-Romains, Alamans, Sarmates, Alains, Burgondes, Aquitains, Wisigoths et même Sarrasins après la poussée arabo-musulmane du début du VIIIème siècle. Bien loin de l'homogénéité ethnique fantasmée par les nostalgiques de Panoramix.

    Lorsque la Raison vint souffler sur l'Europe pour dissiper l'obscurantisme, c'est en France qu'elle rencontra le plus d'embûches. Lors de la Renaissance et de la Réforme qui s'ensuivit, c'est en France qu'il y eut le plus de massacres sur fond de conflits religieux. Les historiens estiment le nombre entre 50 000 et 200 000 morts, soit cinq fois plus qu'en Angleterre. Le XVIIIème siècle montre également à quel point la France était réfractaire à toute remise en question. Si les Lumières ne rencontrèrent aucune opposition en Angleterre, en Prusse et en Russie (pourtant peu ouverte aux idées libérales) c'est en France que ces penseurs eurent maille à partir avec les autorités et le peuple. Embastillements, exils et parfois même exécutions étaient le lot commun de ceux qui osaient remettre en cause le régime. La Contre-Révolution ne fut d'ailleurs nulle part aussi acharnée qu'en France.

    Enfin, le XXème siècle est aussi riche en exemples de ce type. Rappelons la lutte pour la laïcisation de la société. Là où les Anglo-Saxons se laïcisèrent en douceur et sans heurts, la France majoritairement catholique donna du fil à retordre aux autorités civiles et aux professeurs. L'adoption de l'IVG, l'abolition de la peine capitale, la monnaie unique, l'ouverture du mariage aux couples homosexuels… autant d'avancées auxquelles le peuple français fut plus que récalcitrant.

    Cependant, si le Français est réfractaire, ce n'est pas tant par idéologie que par habitude. Contrairement au Russe ou à l'Anglais, son conservatisme n'est pas politique mais simplement le fruit d'une confortable routine et de la peur qu'inspire la nouveauté. Le Français n'est pas un révolutionnaire par nature, pas plus qu'il n'est réactionnaire : c'est un homme d'habitude. Il se débat face à la nouveauté jusqu'à ce que celle-ci lui devienne familière, puis se laisse gagner par ce train-train et devient le plus ardent défenseur de ce qu'il a combattu. En 1890, une majorité de Français souhaitait voir la tour Eiffel détruite ; Au sortir de la guerre, 60% étaient opposés au vote des femmes ; deux tiers étaient contre la peine de mort en 1981 et la moitié des personnes sondées estimaient que la télévision couleur était inutile et dangereuse pour la santé… Essayez à présent de leur enlever leur écran plasma, de retirer à ces dames le droit de vote… ou de détruire la tour Eiffel. On imagine déjà la levée de boucliers. Même l'euro, si combattu, finit par être acceptée au point que Le Pen et Dupont-Aignan (et bientôt Asselineau ?) ont du revoir leur programme et en expurger le retour au franc. Qui sait si dans plusieurs décennies Macron ne sera pas considérée avec fierté par ces Français dont deux tiers le conspuent aujourd'hui. Qui sait si les réfractaires ne s'habitueront pas aux compteurs Linky comme ils l'ont fait pour la téloche. Qui sait si demain chacun n'aura pas un robot domestique et si la conquête spatiale (vue aujourd'hui comme une fantaisie dépensière) ne sera pas une mine d'or pour notre économie.

    Oui, le Gaulois est réfractaire. Mais il faut reconnaître que le modus operandi des gouvernements successifs n'arrange pas les choses. Au lieu d'ouvrir une discussion nationale et de créer un consensus en amenant une réflexion, c'est souvent au forceps que procède le législateur : l'IVG, l'abolition de la peine de mort, le mariage pour tous… ces lois ont toutes été passées en hâte et sans aucune forme de consultation citoyenne : et la chose s'en est ressentie dans le débat public. Dans les pays scandinaves, les avancées sur ces sujets sociétaux ont été le fruit de discussions et d'un procédé pédagogique visant à inculquer au peuple la nécessité desdites avancées. Résultat ? L'opposition à l'avortement ou à l'homosexualité est équivalente à zéro dans ces pays où vous ne risquez pas de voir une Marche Pour la Vie ou une Manif Pour Tous. Si les Scandinaves sont les plus europhiles, c'est aussi parce qu'ils ont été informés pédagogiquement par le gouvernement qui a su les persuader des bienfaits d'une collaboration interétatique. En France, la pédagogie est vue comme une faiblesse : héritage de l'Ancien Régime où la volonté royale faisait œuvre de loi indiscutable, le peuple n'ayant qu'à l'exécuter sans poser de questions.

    Or, à agir ainsi, le gouvernement se tire une balle dans le pied. Car, s'il est vrai que le législateur doit précéder l'opinion et l'amener à changer, il doit le faire en douceur et ne pas échauder ceux qui l'ont élu, sous peine de créer chez eux un sentiment de spoliation et de les pousser dans les bras d'un populisme ramenard. L'autoritarisme bête et méchant ne peut qu'être source d'opposition. Ce n'est pas Créon mais Ulysse que les gouvernants doivent prendre pour modèle.

     

     

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