• Branle-bas de combat dans l’Union européenne pour s’affranchir du gaz et du pétrole russes

    La Commission va également consulter ses États membres sur les besoins et la portée d'un « nouvel encadrement temporaire de crise des aides d'État » qui permettent de soutenir les entreprises acculées par la flambée des prix de l'énergie.
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    Branle-bas de combat dans l’Union européenne pour s’affranchir du gaz et du pétrole russes

    Flambée de l'énergie

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    Publié le 09/03/2022 à 13:30

    L'Union européenne pourrait réduire ses importations de gaz russe de deux tiers avant 2023 en diversifiant, en groupant les achats de gaz et de pétrole ou en développant les énergies renouvelables, selon la Commission. Réunis à Bercy par Bruno Le Maire ce 9 mars, ministres, commissaires, industriels et spécialistes planchent sur ce plan baptisé « Repower EU ».

    Desserrer l’étau gazier et pétrolier russe au plus vite, bien avant 2030, tout en maîtrisant la hausse des prix de l’énergie : à l'heure où la guerre de Vladimir Poutine ravage l’Ukraine, voici l’objectif que défend le plan « Repower EU » dont l'ébauche a été dévoilée le 8 mars par la Commission européenne. « Nous ne pouvons tout simplement pas dépendre d'un fournisseur qui nous menace ouvertement, martèle sa présidente Ursula von der Leyen qui développera ses idées devant les dirigeants européens réunis à Versailles à partir du 10 mars. Nous devons agir maintenant pour atténuer les effets de la hausse des prix de l'énergie, diversifier notre approvisionnement en gaz pour l'hiver prochain et accélérer la transition vers une énergie propre. »

    Les États membres de l’UE seront donc invités à remplir avant octobre 2022 leurs stockages de gaz à 90 %, comme le fait déjà la France à 85 % avant chaque saison froide. Pour ce faire, ils pourront se regrouper pour négocier au mieux des importations diversifiées et accroître la productivité de leurs terminaux gaziers, afin qu'ils accueillent davantage de méthaniers chargés de GNL, le gaz naturel liquéfié. La Commission européenne envisage également de découpler le prix de l’électricité en Europe de celui du gaz, à la grande satisfaction de la France qui le réclamait depuis des mois.

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    Dans le même temps, l’Union européenne souhaite accélérer sa production d’énergies renouvelables. « La guerre que mène Poutine en Ukraine démontre combien il est urgent d'accélérer notre transition vers une énergie propre, a renchéri après Ursula von der Leyen, Frans Timmermans, le vice-président exécutif chargé du Pacte vert pour l'Europe. Le moment est venu de s'attaquer à nos vulnérabilités et de devenir rapidement plus indépendants dans nos choix énergétiques. Les énergies renouvelables sont une source d'énergie bon marché, propre et potentiellement illimitée qui par ailleurs, créent des emplois ici. »

    Nouvel encadrement des aides d'État

    La production d’hydrogène à partir d’EnR (énergies renouvelables), la production de méthane et les efforts d’efficacité énergétique des particuliers comme des industriels devraient donc être davantage soutenus. Ces derniers seront notamment incités à décarboner leurs usines et mobiliser d’autres énergies que le gaz pour produire leurs biens. La Commission européenne estime qu’il serait possible petit à petit de réduire d'ici la fin de l'année le besoin de l’UE en gaz russe de deux tiers, soit des importations dégonflées de 155 milliards de mètres cubes.

    La Commission va également consulter ses États membres sur les besoins et la portée d'un « nouvel encadrement temporaire de crise des aides d'État » qui permettent de soutenir les entreprises acculées par la flambée des prix de l'énergie. Pour mémoire, elle permet déjà aux différents pays de l'UE de réguler les prix de l’énergie dans des circonstances exceptionnelles, le cas échéant en redistribuant aux consommateurs des recettes tirées des bénéfices élevés du secteur de l'énergie.

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    La France l’a fait en limitant d’une part, le 1er février, la hausse des tarifs réglementés de vente de l’électricité à 4 % TTC pour les consommateurs résidentiels alors que cette hausse aurait atteint 35 % sans cette décision. Et d’autre part, en gelant jusqu’à la fin de 2021 le prix du gaz au niveau d’octobre 2022, pour nombre de consommateurs. Mais les ménages, les entreprises restent frappés par la hausse des carburants. C'est pourquoi il faut aller plus loin.

    Ce 9 mars, la Conférence ministérielle intitulée « Renforcer l’autonomie énergétique européenne et réussir la transition écologique » qui se tient à l’invitation Bruno Le Maire à Bercy, devra donc élaborer de nouvelles propositions. Et les Commissaires européens, les différents ministres, industriels et spécialistes invités, devront peaufiner une politique énergétique européenne enfin combative.



  • Après le Sahel, la lutte contre les groupes djihadistes se déploie dans le Golfe de Guinée

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    Après le Sahel, la lutte contre les groupes djihadistes se déploie dans le Golfe de Guinée

    Terrorisme

    Par Célia Cuordifede

    Publié le 09/03/2022 à 14:00

    Depuis plusieurs années, la Côte d’Ivoire, le Bénin et le Togo voient les attaques terroristes se multiplier sur leur territoire. Face à ces incursions de groupes djihadistes, la réponse militaire et sécuritaire des pays côtiers d’Afrique de l’Ouest prédomine, mais des politiques visant à résorber les fractures socio-économiques sont également mises en place.

    En trois mois, cinq attaques terroristes ont été perpétrées dans le nord du Bénin. Au moins onze personnes, dont un Français ancien membre des forces spéciales, ont perdu la vie. Selon une récente note de l’Institut français des relations internationale (IFRI), le Bénin « est le second pays le plus touché par la présence et la circulation des groupes djihadistes, appartenant au Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (JNIM) et à l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) », dans la région côtière. Tandis que la Côte d’Ivoire détient le triste record du nombre d’attaques de ces groupes sur son territoire. Dans une moindre mesure, le Togo, le Ghana ainsi que le Sénégal et la Guinée sont aussi confrontés à la menace djihadiste.

    Dans les prochains jours, une nouvelle réunion des pays signataires des Initiatives d’Accra (Bénin, Togo, Ghana, Côte d’Ivoire, Burkina Faso), lancées en 2017, doit être convoquée, selon une source gouvernementale béninoise. Le projet repose notamment sur le partage d’informations et de renseignements, la formation de personnels de sécurité ainsi que la conduite d’opérations militaires conjointes transfrontalières. « Nous sommes actifs et engagés à ce qu’une action commune permette de venir à bout de ces phénomènes dans notre sous-région », nous dit-on à Cotonou, où l’on préfère parler sous couvert d’anonymat et ne pas « se répandre sur le sujet dans la presse », à l’heure où les opérations militaires et les politiques d’inclusion des peuples des frontières se multiplient.

    Frontières poreuses

    « Aujourd’hui, l’expansion du djihadisme vers les pays du Golfe de Guinée est une réalité. Ce n’est plus qu’une simple menace, constate William Assanvo, chercheur spécialisé dans les questions sécuritaires à l’Institut d’études de sécurité (ISS Africa). On pouvait déjà considérer l’attaque de Grand-Bassam en Côte d’Ivoire en 2016 et l’enlèvement de touristes français dans le parc de la Pendjari en 2019 au Bénin, comme des expansions, ou du moins des velléités d’installations ».

     

    Si pour l’heure l’intensification de ces attaques survenues ces derniers mois reste inexpliquée pour les experts, tous sont unanimes quant à la porosité des frontières, avec le Burkina Faso pour la Côte d'Ivoire, le Togo, le Ghana et le Bénin ou encore avec le Mali pour la Guinée et le Sénégal. « Les zones frontalières héritées de la colonisation ont généralement été désaffectées et abandonnées, observe Caroline Roussy, chercheuse à l’l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), responsable du programme Afrique. Les dirigeants ont souvent entrepris d'investir dans les grandes villes mais les zones frontalières n’ont pas fait l'objet de l’attention qu’il fallait. »

    Un abandon et un vide étatique sur lesquels jouent aujourd’hui les groupes djihadistes pour tenter des incursions auprès de ces populations « avec des discours "réformistes" teintés de principes égalitaristes et de justice sociale ». Un constat partagé par William Assanvo. « Les groupes djihadistes qui tentent d’agir aux frontières nord du Bénin et de la Côte d’Ivoire instrumentalisent les frustrations des populations locales, explique-t-il. Parfois en prenant part à des conflits intercommunautaires et d’autres fois par des promesses d’accès à des territoires de chasse ou de pêche interdits ou confisqués par le pouvoir politique. »

    Politiques socio-économiques

    C’est pourquoi, outre le renforcement de leur force sécuritaire, les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest misent sur des politiques d’inclusion des populations des frontières, particulièrement vulnérables à des enrôlements. « C’est une des leçons tirées par les pays du Golfe de Guinée par rapport à ce qu’il s’est passé au Mali rapporte un diplomate basé à Abidjan. Tous ont compris l’importance d’avoir une réponse globale et pas seulement sécuritaire. »

    En Côte d’Ivoire, le gouvernement a récemment annoncé un projet d’emploi de grande envergure pour les jeunes pour un montant de 8 milliards de francs CFA sur cinq ans (soit 12 millions d’euros). Tandis que des projets de construction d’infrastructures voient le jour dans le nord-est du pays, à la frontière avec le Burkina Faso, comme la construction de routes goudronnées pour désenclaver la région. Une logique qu’a également adoptée le Bénin, à travers son Agence de gestion intégrée des frontières (ABEGIEF). Créée en 2012, elle vise à réduire certaines vulnérabilités de nature socio-économique : développer les infrastructures de base, l’eau, la santé, les écoles…

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    Une méthode également suivie par le Sénégal. Si le pays de la Teranga reste pour l’heure épargné par les attaques meurtrières, les forces de sécurité ont déjà arrêté plusieurs personnes soupçonnées d’être en lien avec des entreprises terroristes dans l’Est, à la frontière malienne (au moins quatre en 2021, en attente d’un jugement). « Ce n’est pas pour rien que nous avons un ministère du Développement communautaire et de l'Équité sociale et territoriale, souligne Boubacar Bertrand Baldé, directeur exécutif du cabinet de conseil stratégie et développement (Cosdev). Il est absolument nécessaire d’avoir cette approche socio-économique. Car le terreau fertile du djihadisme, c’est la pauvreté, le manque d’emploi, l’inégalité dans la distribution des ressources. »

    Renforcement sécuritaire

    Néanmoins, la réponse sécuritaire ne fait pas défaut, elle prédomine. Au Togo, au Ghana, ainsi qu’au Sénégal, des cellules de lutte et de prévention contre le terrorisme ont vu le jour. Tandis qu’en Côte d’Ivoire, une académie de lutte contre le terrorisme a été inaugurée il y a six mois. « Il s’agit de former des soldats de tous les pays qui en ont besoin aux techniques de lutte et de neutralisation des groupes djihadistes », explique un diplomate.

    Depuis la multiplication des attaques sur leur territoire, la Côte d’Ivoire et le Bénin ont augmenté leurs forces en présence le long de leurs frontières nord, mais aussi leurs appuis logistiques. « Il y a eu d’importants investissements dans les technologies de pointe, de surveillance ainsi que de ciblage, de type drone ». Outre les actions menées au niveau national, des coopérations bilatérales ont été engagées entre le Bénin et le Burkina Faso ou encore le Niger et la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso. Il est notamment question de partage d’informations et de renseignements, de formation de personnels de sécurité mais aussi de conduite d’opérations militaires conjointes transfrontalières. Un cadre donné par les Initiatives d’Accra depuis 2017.

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    Si au Mali ou encore au Burkina Faso, l’évacuation des troupes françaises a suscité une certaine satisfaction, « le départ de Barkhane et de Takuba crée un vide », a reconnu le président ivoirien Alassane Ouattara lors d'une interview à RFI et France 24 le 16 février dernier. « Nous serons obligés d'augmenter nos forces de défense, d'accroître la protection de nos frontières, d'acheter des armes et d'avoir une plus grande professionnalisation. [...] Les armées nationales doivent régler les problèmes sur nos territoires nationaux. C'est notre philosophie et nous prendrons toutes les mesures possibles même si nous devons dépenser 3 ou 4 % du PIB dans des dépenses militaires. Nous le ferons pour notre protection car sans sécurité il n'y aura pas de développement », avait-il ajouté.

    Aujourd’hui, le redéploiement des forces de l’opération Barkhane et Takuba vers les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest fait toujours l’objet de pourparlers. « Il faut voir comment la communauté internationale peut aider et soutenir, explique une source diplomatique. Mais la philosophie de ces pays, pour reprendre les mots de Ouattara, est de gérer leur sécurité par eux-mêmes et de façon globale, en incluant le volet socio-économique. »