Francisco Boix, un républicain espagnol, s’engage dans l’armée française et il est fait prisonnier en juin 1940, comme plus de 6 000 combattants espagnols, avant d’être déporté vers le camp de concentration de Mauthausen. Il est affecté au service photographique du camp, sous les ordres du commandant Ricken, un pervers qui, de manière maladive, met en scène et photographie tous les morts du camp. Boix organise alors un acte héroïque de résistance qui consiste à conserver les photos des assassinats et ainsi, à prouver ce qui a été.

Je sais par un ami le poids des photos si rares des crématoires d’Auschwitz ; Francisco Boix a sauvé plus de 20 000 clichés. Il est l’un des témoins clés du procès de Nuremberg en 1946, car il y apporte la preuve photographique de l’implication des hauts dirigeants nazis. Mais notre témoin est déçu du mépris qu’il ressent de la part du tribunal et il n’arrive pas à faire prendre conscience de la terrible réalité des camps à ces hommes qui, déjà, pensent à la guerre froide.

Il porte cette réalité insupportable qu’avec ses frères républicains, il ne peut pas retourner chez lui en Espagne en sortant des camps. Alors, une fois de plus, il choisit la France. Disparu très jeune, ses cendres ont été récemment transférées au cimetière du Père-Lachaise.

C’est son histoire que raconte avec force et justesse la bande dessinée le Photographe de Mauthausen sur un scénario de Salva Rubio et des dessins de Pedro Colombo. Il y a, dans l’album, un dossier documentaire très complet et conçu comme une suite de la BD qui explique la situation de ces prisonniers si particuliers. Citoyens d’un pays fasciste, ils étaient doublement chassés par les nazis. Un SS hurle d’ailleurs sa haine dans la BD : «Les Espagnols sont les plus durs à tuer.»Après la guerre, l’héroïsme de l’épopée des républicains espagnols a occulté leur souffrance dans les camps. Ce livre répare cette injustice.

Nous découvrons combien il était pratiquement impossible pour les survivants de témoigner à la sortie de la guerre car le monde voulait oublier, ou ne pas savoir. C’est donc bien d’un devoir de connaissance qu’il s’agit en lisant cet ouvrage qui allie la rapidité et la légèreté d’une bande dessinée à la profondeur et la véracité d’un livre de témoignage. Découvrir cette histoire, c’est porter l’écho de la voix d’Elie Wiesel qui affirmait, avec tous les survivants, «qu’entendre les témoins, c’est devenir des témoins à notre tour».

Par Haïm Korsia Grand rabbin de France

Salva Rubio et Pedro J. Colombo Le Photographe de Mauthausen Le Lombard, 168 pp., 19,99 €.