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Vladimir Poutine : oligarque à 40 milliards de dollars ?
Vladimir Poutine : oligarque à 40 milliards de dollars ?
Sans entrer dans plus de détails pour l’instant, nous avons vu que Boris Eltsine avait mis à mort l’URSS et qu’il s’était très violemment heurté au parti communiste. Contrairement à ce que nous avions cru pouvoir penser jusqu’à présent, Vladimir Poutine se serait-il, à un moment ou à un autre, rangé dans la même ligne ? Ne serait-il qu’un dauphin ?… Pire peut-être : ne serait-il pas lui-même un de ces oligarques qui ont marqué un fantastique triomphe de l’appropriation privée des moyens de production et d’échange à la suite de l’effondrement de l’Union soviétique ?
Selon Frédéric Pons, il n’y aurait guère de doute possible quant à sa dépendance :
« Les besoins du clan présidentiel qu’il sert loyalement l’éloignent un temps du Kremlin. Boris Eltsine a besoin de lui ailleurs, à la tête du FSB, le Service fédéral de sécurité, successeur du KGB. » (Pons, page 93)C’est encore le même auteur qui, exposant la situation politique en 1999 et la place qu’y occupait Vladimir Poutine, croit pouvoir faire la constatation suivante :
« Il avait déjà derrière lui le clan des Pétersbourgeois, puis les réseaux de l’ex-KGB. Le voici maintenant soutenu par les oligarques. Il ne lui manque que l’armée. Ce sera chose faite dès la fin de cette année 1999. » (Pons, page 158)Oligarque, Vladimir Poutine ?…
Pour Masha Gessen, cela ne fait pas le moindre doute. Mieux, elle ne veut voir en lui qu’un véritable truand qui a très bien réussi :
« Comme tous les chefs de mafia, il n’établissait pas de distinction entre ses biens personnels, les biens de son clan et ceux des individus qui étaient redevables à son clan. En parfait mafioso, il amassait des richesses en recourant purement et simplement au vol, comme avec Ioukos, en percevant des cotisations indues et en plaçant ses amis partout où il y avait de l’argent ou des avoirs à siphonner. À la fin de l’année 2007, un expert politique russe – quelqu’un qui apparemment avait accès au Kremlin – estimait la fortune personnelle de Poutine à 40 milliards de dollars. » (Gessen, page 271)La position prise par cette journaliste russo-américaine semble cependant s’inscrire dans une démarche politique qui ne peut que nous conduire à considérer ses propos avec une extrême prudence…
En matière d’oligarques, il paraît qu’elle a côtoyé elle-même ce qui se faisait de mieux à l’époque, et pour s’en faire la porte-parole. La voici telle qu’elle se décrit elle-même à l’œuvre :
« On était le 2 octobre 2011, et Boris Berezovski sautillait d’excitation dans son bureau. » (Gessen, page 279)Le prince des oligarques se livre à elle avec un maximum de franchise :
« Vous comprenez ? commença-t-il. Le régime russe n’a ni idéologie, ni parti, ni politique ; ce n’est rien d’autre que le pouvoir d’un seul homme. » (Gessen, page 279)C’est homme, c’était donc Vladimir Poutine… Rien qu’un collègue oligarque ?… Qui sait ? En tout cas, s’il s’agit de le démolir politiquement, affirme l’oligarque Berezovski devant Masha Gessen :
« Il suffirait juste à quelqu’un de le discréditer – lui personnellement. » (Gessen, page 279)La journaliste est suffisamment la complice de cet oligarque-là pour en recevoir des confidences dont elle n’ose pas nous livrer le premier mot :
« Berezovski avait même un plan en tête, voire plusieurs, mais je dus jurer de garder le secret. » (Gessen, page 279)En effet, les enjeux d’une telle manœuvre seraient tout bonnement colossaux, apprenons-nous :
« Cela signifiait que le régime actuel était fondamentalement vulnérable : la personne ou les personnes susceptibles de le renverser n’auraient pas à combattre une idéologie enracinée ; il leur suffirait de démontrer que le tyran avait des pieds d’argile. » (Gessen, pages 279-280)La journaliste rend son propos plus explicite encore, si possible :
« En 2011, on avait vu des dictateurs arabes tomber comme des dominos, renversés par des foules rendues soudain intrépides par le pouvoir des mots et l’exemple des autres. » (Gessen, page 280)Ainsi, que Vladimir Poutine puisse être déclaré oligarque à 40 milliards de dollars de fortune cachée, voilà certainement qui aurait du poids, surtout s’il est possible d’opposer son sort à celui qu’il a su réserver, depuis qu’il est arrivé au pouvoir à de beaucoup plus petits que lui. C’est encore Masha Gessen qui s’en émeut :
« En 2011, les défenseurs des droits de l’homme estimaient qu’au moins 15 % de la population carcérale russe étaient constitués d’entrepreneurs qui avaient été jetés en prison par des concurrents ayant des relations et usant du système judiciaire pour s’emparer de leurs sociétés. » (Gessen, page 284)Pourquoi la population russe devrait-elle accorder le moindre crédit au crocodile d’entre les crocodiles ?… C’est-à-dire à quelqu’un qui ne peut plus décidément plaire à personne avec son pouvoir tyrannique et sa fortune colossale…
Il faut donc en convenir : Poutine oligarque n’est qu’une fausse piste.
Mieux. S’il faut en croire Frédéric Pons – qui voit pourtant en lui un proche de Boris Eltsine, tout autant qu’un ami des oligarques -, dès son arrivée au pouvoir, Vladimir Poutine aurait tenu à mettre les points sur les i en présence de ces derniers :
« Les règles avaient été annoncées à tous, dès 2000 : « Poursuivez vos affaires, sans toucher à la politique. » » (Pons, page 147)S’agissait-il véritablement de leur laisser la bride sur le cou à tout jamais ? Non, poursuit Frédéric Pons. Ce n’est qu’une position d’attente… L’oligarchie n’aura qu’à bien se tenir le temps qu’il se dote des instruments juridiques et politiques nécessaires à tout autre chose :
« À cette époque, Poutine n’a pas le choix. Bien informé par sa culture et ses responsabilités dans le monde du renseignement, il sait comment ces fortunes ont été bâties, par quelles méthodes, avec quelles complicités et compromissions. Il peut estimer ce que l’État a perdu et continue de perdre en impôts et taxes jamais payés. Il comprend aussi que ce capitalisme sauvage contribue à enrichir en cascade une partie de la société, fait tourner l’économie, assure la présence des productions russes dans le monde. » (Pons, pages 155-156)Mais, de toute façon, conclut ce biographe :
« En 2000 et pendant les années qui suivent, il n’a pas les moyens politiques et judiciaires de les combattre. » (Pons, page 156)Parmi d’autres, Berezovski, l’ami de l’américano-russe Masha Geshen, ne perd rien pour attendre… d’un homme qui, au plus profond de lui-même, méprise… l’oligarchie.
(NB : Pour entrer davantage dans la réflexion conduite ici, et l’étendre à des questions bien plus vastes, je recommande que l’on s’inscrive dans le groupe « Les Amis de Michel J. Cuny (Section Vladimir Poutine) » sur Facebook.)