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    Une colère qu’exprime aujourd’hui en partie le mouvement des gilets jaunes. Depuis de nombreuses années, au travers d’un engagement associatif au plus proche des difficultés de la vie, politique plus récemment, les inégalités, la précarité, les conflits de tous ordres qui habitent notre planète font partie de mon quotidien. Une préoccupation permanente. Une seconde peau dont je voudrais me défaire, que je n’aurais pas voulu léguer à mes enfants et à fortiori à mes petits-enfants, femmes et hommes de demain.

    Quelle image de la société leur donnons nous aujourd’hui. Une perpétuelle violence exponentielle, conjuguée à l’envie des despotes qui se succèdent à la gouvernance, sociale, environnementale, planétaire. Une violence entretenue par un état devenu autoritaire et répressif appuyé par son organe de communication, télé, radio, presse écrite, avec à la manœuvre quelques-unes des plus grosses fortunes de France. Ces médias qui servent la soupe capitaliste à grandes louches tous les jours à heure de grande écoute.

    La rue était encore jusqu’à il y a peu un espace de liberté où les revendications sociales pouvaient s’exprimer. Les choses ont changé. La politique sécuritaire, appliquée depuis quelques années, légitime les forces de l’ordre dans des pratiques de plus en plus abusives, hors la loi, qui blessent physiquement des femmes et des hommes qui luttent pour vivre dignement, qui ne veulent plus être « les pauvres » et qui pourtant voient leur rang gonfler mois après mois, année après année.

    Cette violence d’État est inacceptable et illégitime. 178 blessés recensés parmi plus de 2000 dont : 4 mains arrachées, 15 blessés par des éclats de grenades GLI-F4, 122 blessés à la tête par des tirs de LBD40 dont 18 éborgnés (source : lemurjaune.fr – janvier 2019) sans oublier les Gilets Jaunes qui ont perdu la vie, renversés par des automobilistes à proximité des ronds-points ou barrages.

    La matraque fait fi du retraité, de l’étudiant, de l’homme, de la femme. Les gaz lacrymogènes et les flashball asphyxient et réduisent en miettes les revendications qui demandent une juste et équitable répartition des droits d’accès à la santé (NON aux conditions de travail catastrophique), à l’éducation (NON aux réductions des effectifs), au logement (DAL pour tous et respect de la trêve hivernale), aux transports (Gratuité), à l’emploi (NON aux emplois précaires), au pouvoir d’achat (Vivre dignement).

    Ce système capitaliste qui nuit aujourd’hui au plus grand nombre a érigé un mur. Il est dit qu’en 2018, les milliardaires français sont ceux qui se sont enrichis le plus vite au monde. A qui profite le crime ?

    Le peuple, citoyennes et citoyens, s’est trouvé enfermé dans le labyrinthe capitaliste dont la complexité ne semblait pas permettre d’issue, les dédales s’enchainant à l’infini. Un système libéral, pervers qui mondialement anéantit et asservit femmes et hommes. Il y a enfermé le peuple dans l’espoir qu’il ne pourrait plus en sortir. Avec la volonté et la certitude aussi que soumis et anéanti il ne réagirait plus, vidé, acculé, corvéable à merci.

    Mais « L’heure de nous-mêmes a sonné » extrait d’une citation d’Aimé Césaire.

    Le mouvement des gilets jaunes a débuté à l’automne dernier pour perdurer aujourd’hui encore. Connaitra-t-il un printemps victorieux ? Il faut l’espérer mais une nécessaire convergence des luttes doit intervenir. Les revendications sociales, salariales, environnementales ne datent pas d’hier[1]. A à la fois particulières et communes, elles se rejoignent sur bien des points, et somme toute les plus importants.

    Ne laissons pas le système capitaliste en place devenir notre fossoyeur.

    Les femmes ont bien compris l’importance et l’enjeu de la lutte qui vient de s’engager. Précaires parmi les précaires, elles relèvent le défi. Pacifiquement elles manifestent en nombre. Elles représentent, en majorité, les secteurs de l’éducation, des soins, du travail social etc. souvent mal payées, peu considérées. Elles savent, unies, crier les mots justes, leur quotidien, leur désarroi, leur courage. Force tranquille et déterminée, elles ne lâcheront rien. Comme en Tunisie, en Égypte, au Burkina Faso et dans bien d’autres endroits elles sont une pièce maitresse. Une main de fer dans un gant de velours. Aujourd’hui elles défilent main dans la main et opposeront certainement leur engagement et leur détermination face à cette nouvelle loi qui permet au préfet d’interdire de manifester tout citoyen sans avoir à apporter des preuves de dangerosité et sans intervention de la justice. Un nouveau droit qui disparait voté par une écrasante majorité de députés – 387 Pour 92 Contre.

    La réaction doit être massive. NON aux atteintes aux libertés. NON à la disparition des droits fondamentaux. OUI à une société juste et égalitaire.

    OSONS dire que nous ne sommes plus dupes.

     

     


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    "Etre ou ne pas être", telle est la question shakespearienne, une question qui se pose encore aujourd'hui avec beaucoup d'acuité. Pour prétendre "être" de façon pleine et entière, d'une façon véritable, encore faut-il être vu, mais surtout identifié, reconnu et respecté. Mais Hamlet n'est pas reconnu ni respecté, il est méprisé. Il veut "être" et, pour cela, il ne voit que deux choix : agir avec violence en s'exonérant de toute conscience morale ou se suicider.

    Etre ou disparaître

    Mais, il ne parvient pas à anesthésier sa conscience. Son action s'en trouve donc paralysée. "Etre ou ne pas être" signifie pour Hamlet que, faute de pouvoir agir, il lui faut se résoudre à ne plus être, autrement dit à quitter le monde des mortels. Hamlet pense à la mort dès l'acte I (scène 2) de la pièce, mais il est confronté à sa foi qui lui interdit le recours au suicide : "Ah ! si cette chair trop solide pouvait se fondre, se dissoudre et se perdre en rosée ! Si l’Éternel n’avait pas dirigé ses canons contre le suicide ! (…) Que les choses en soient venues là ! (“That it should come to this.”).

    Ce dilemme vécu par Hamlet est aussi celui que vivent des tas de gens qui, aujourd'hui, se sentent inexistants ou trop étouffés. Les plus audacieux font un choix. Comme Hamlet, ils se jettent dans l'action décisive, par exemple, ils manifestent pour être reconnus et enfin respectés. "Etre", fut-ce par le moyen de la violence. Ou bien, ils optent pour l'autre choix, le plus funeste. On le sait, dans certains milieux, le taux de morbidité par suicide est élevé.

    Avant de développer davantage, revenons à Hamlet. A l'acte III (scène), Hamlet prononce un monologue, il se lamente : « Etre ou ne pas être, telle est la question. Y a-t-il plus de noblesse d'âme à subir la fronde et les flèches de la fortune outrageante, ou bien à s'armer contre une mer de douleurs et d'y faire front pour y mettre fin ?" Hamlet considère que la seule voie est la vengeance et que pour armer son bras, l'occultation de la conscience morale est indispensable : "Ainsi, la conscience fait de nous tous des lâches ; (« Thus conscience does make cowards of us all  »)".

    La conscience morale est-elle un boulet ?

    Ce thème du "boulet" de la conscience est récurent chez Shakespeare. On le retrouve notamment dans la pièce Richard III :

    "Ô lâche conscience, comme tu me tourmentes (O coward conscience, how dost thou afflict me ! (…)

    Ma conscience a mille langues, et chaque langue raconte une histoire, et chaque histoire me condamne comme scélérat." La conscience est synonyme de lâcheté : "La conscience n’est qu’un mot à l’usage des lâches, inventé tout d’abord pour tenir les forts en respect. Ayons nos bras forts pour conscience, nos épées pour loi" (Acte V, scène 2).

    Mais l'exemple de cet odieux personnage qui commet une suite de meurtres n'est pas à suivre. A l'opposé de Richard III, mais aussi de MacBeth, Hamlet conserve sa conscience et ne s'en défait pas. Cela fait de lui un irrésolu, un pusillanime, mais au moins il reste humain. Car, la conscience n'est-elle pas ce qui définit l'Homme ?

    « Quel chef-d’œuvre que l’homme ! qu’il est noble dans sa raison ! qu’il est infini dans ses facultés ! dans sa forme et dans ses mouvements, comme il est expressif et admirable ! par l’action, semblable à un ange ! par la pensée, semblable à un dieu ! C’est la merveille du monde, l’animal idéal ! Et pourtant qu’est à mes yeux cette quintessence de poussière ?"

    Par ces mots, Hamlet montre que, pour lui, l'Homme est avant tout conscience. Conscience plutôt qu'action. Bien sûr, il désespère que ce "chef-d'oeuvre" qu'est l'homme ne permet pas toujours à celui-ci d'obtenir ce qu'il veut. Mais Hamlet ne devient jamais un MacBeth ni un Richard III. Son indécision, perçue à l'époque comme de la lâcheté, est la preuve de son humanité, d'une humanité qui repose avant tout sur la conscience.

    Le Sens ou bien "le bruit et la fureur"

    Autre chose qui distingue nettement Hamlet des deux autres personnages : il ne rejette pas la notion de "sens". MacBeth, au contraire, la rejette :

    « L'histoire humaine, c'est un récit raconté par un idiot plein de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien » (Acte I, scène 5).

    Puisque nos vies ne "signifient rien", pourquoi en faire grand cas ? On peut tuer sans état d'âme ! Hamlet garde la notion du sens mais semble perdre le sens, c'est-à-dire la raison : il mime la folie. C'est un remède contre la perte d'existence et de sens de la vie. Mais attention, si la folie simulée peut être un moyen de s'échapper momentanément du monde oppressant et humiliant, la vraie folie est fatale. Or, on se souvient que Hamlet provoque la folie de celle qu'il aime, Ophélie, en tuant involontairement son père dans un moment d'anesthésie de sa conscience. Pour pouvoir être, il faut donc ne jamais perdre de vue ce qui fait sens. Le sens est lié à l'Essentiel et à tout ce qui fonde la vie et l'humanité.

    Conclusion

    Pour pouvoir être dans une société qui privilégie ceux qui héritent et ceux qui méritent, il faut une capactié à lutter et à s'étoffer. S'étoffer et ne pas se laisser étouffer. On n'étoffe son être que par l'affirmation et la défense de sa dignité propre. Par conséquent, c'est bien par l'action que cela se passe. Tout est cependant affaire de mesure. On ne peut pas "être" aux dépens ni au détriment des autres êtres. Le respect mutuel impose la tolérance réciproque. Quelquefois, certains compromis sont nécessaires, tant qu'ils ne sont ni humiliants ni injustes, tant qu'ils restent honorables. C'est par les compromis que la vie ensemble est possible et que la lutte de tous contre tous est écartée. C'est ainsi que l'homme est un homme pour l'homme et non pas un loup pour l'homme.

    Pour "être" véritablement et en toute équité avec ses semblables, il ne faut pas être prisonnier de son propre ego. Il faut être honnête envers soi-même ainsi que "au clair" avec sa conscience.

    Paraître, c'est se composer une contenance, un rôle. Etre, c'est se composer intérieurement, s'étoffer, et aussi trouver sa place dans la société (ne pas se l'attribuer de façon violente). Alors on pourra dire comme Shakespeare : "quel chef-d'oeuvre que l'homme !"