Iwao Hakamada, ancien boxeur professionnel japonais, a attendu pendant près d'un demi-siècle dans le couloir de la mort, son exécution par pendaison. Condamné à mort en 1968 pour le quadruple assassinat de son patron et de trois autres membres de sa famille, il n’a cessé de clamer son innocence, puis a finalement avoué avant de se rétracter au cours d’interrogatoires pouvant durer 12 heures de suite, et sans l’aide possible d’un avocat.
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Sa peine confirmée en 1980, il a finalement été relâché en 2014 après qu’un tribunal a décidé, sur la base d’analyse génétique, la tenue d'un nouveau procès. Mentalement atteint par toutes ces années dans le couloir de la mort, il a finalement été incapable de témoigner devant le tribunal. Il aura encore fallu attendre octobre 2024 pour qu’enfin la révision de son procès soit décidée par la cour suprême – à la surprise générale tant une telle révision n’est absolument pas dans l’esprit judiciaire japonais – et finalement innocenté.
Le Japon, fidèle à la peine capitale
Le Japon est, avec certains États américains, le seul pays du G7 à conserver la peine capitale. Le nouveau ministre de la Justice du gouvernement Ishiba, Hideki Makihara, n’a d’ailleurs pas attendu pour réaffirmer avec force que l’abolition n’était en aucun cas envisageable. Au Japon, le ministre de la Justice ainsi que le ministère public se sont toujours opposés à une quelconque révision de la loi, au contraire de Taïwan et La Corée du Sud qui se sont vus imposer le même système judiciaire lors de leur colonisation par le Japon mais qui depuis l’ont révisé et se sont alignés sur les standards de la majorité des pays.
Tout d’abord, rappelons que la peine de mort au Japon n’a rien de consubstantiel au pays. Si elle semble remonter à l’origine de son histoire, elle a pourtant été abolie en 724 par l’empereur Shômu, sous l’influence du bouddhisme. Elle resta suspendue pendant 347 ans, de 810 à 1156, faisant peut-être du Japon la première nation abolitionniste.
Aujourd’hui, l’article 36 de la constitution interdit la torture et tout châtiment cruel, mais une sentence de la Cour suprême en 1948 a reconnu la constitutionnalité de la peine de mort au motif que le mode d’exécution par pendaison ne peut être qualifié de cruel. Elle s’applique en théorie à 18 types de délits (dont, entre autres, la direction d’une insurrection, l’aide à l’ennemi) même si dans les faits seuls les meurtres sont sanctionnés par la peine capitale.
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Parmi les meurtres, un arrêt de la cour suprême de 1983 estime la peine de mort nécessaire lorsque le criminel a plusieurs victimes à son actif (mais il y a des exceptions) lorsque l’acte est considéré comme particulièrement cruel et ajoute qu’il faut de plus prendre en compte le sentiment de la famille.
De 1989 à 1993, les exécutions ont été suspendues, ce qui avait laissé augurer d’une prochaine abolition de la peine de mort. Nouveau moratoire de facto de 15 mois sous le ministère de la Justice de Seiken Sugiura (entre 2005 et 2006) lequel avait bloqué les exécutions par conviction bouddhiste, en refusant de les signer. Par principe, le bouddhisme tend au droit à la vie, à la compassion et récuse l’esprit de vengeance.
De longues années dans les couloirs de la mort
La loi prévoit l’exécution dans les six semaines qui suivent la condamnation, laquelle se fait comme on l’a vu, sur ordre du ministère de la Justice. Mais en fait, parmi les condamnés qui attendent une exécution qui peut intervenir à tout moment, certains passent de longues années dans les couloirs de la mort, comme Hirasawa qui au bout de trente ans est mort de mort naturelle ou Sakae Menda, aujourd’hui farouche abolitionniste, qui après trente-deux ans d’attente a été en 1983, premier condamné à la peine capitale à être innocenté.
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La peine de mort serait-elle dissuasive, alors ? Aujourd'hui, en tout cas, le secret est généralisé : les condamnés sont cachés, les médias sont avertis après l’exécution, les documents sont inaccessibles aux journalistes et universitaires et personne ne peut assister à l’exécution. Les condamnés, placés à l’isolement absolu, vivant dans la crainte quotidienne de leur exécution, ne sont avertis que le jour même, puis pendus dans le plus grand secret, leurs familles ensuite averties de la mise à disponibilité de la dépouille de leur proche.
Une situation régulièrement dénoncée par la FIDH (Fédération Internationale des Droits de l’Homme) et par le Conseil de l’Europe qui a déjà envisagé de retirer au Japon son statut d’observateur. Cette grande opacité permettait d’éviter les protestations, de rendre impossible le débat tout en conservant les visées dissuasives.
La sécurité de tous prime sur l’individu
Quelles sont les chances des abolitionnistes, sectes bouddhistes, catholiques et protestants, rejoints ces dernières années par des parlementaires qui ont déposé une proposition de moratoire aux exécutions ? Ils ne risquent guère d’être entendus tant reste prégnant l’impact des crimes de la secte Aum Shinrikyo qui avait le 20 mars 1995 perpétré un attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo à une heure de pointe, faisant 13 morts et près de 6000 victimes.
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13 membres de la secte furent condamnés à mort dont évidemment le gourou, et exécutés les 6 et 26 juillet 2018. Les attentats terroristes dans le monde et l’augmentation des crimes dans l’archipel (c’est du moins ce que les médias et le gouvernement rappellent avec insistance) renforcent la conviction de la très grande majorité de la population, dont 80 % soutiennent la peine de mort selon les enquêtes quinquennales réalisées depuis 2004. Le gouvernement s’appuie sur l’idée que la sécurité de tous prime sur l’individu au risque de condamner des innocents.