• Européens, faites des stocks de nourriture en cas de crise majeure !

    Européens, faites des stocks de nourriture en cas de crise majeure !

    Comment préparer 450 millions d’Européens aux crises majeures ? L’ancien président finlandais Sauli Niinistö a remis à la Commission européenne un rapport sur la préparation civile de l’Europe.

    Les Européens doivent faire des stocks de nourriture pour 72 heures.

    Et si la sécurité de l'Europe commençait dans votre cuisine ? Le rapport remis par Sauli Niinistö à la Commission européenne fait une recommandation aussi simple qu'ambitieuse : chaque foyer européen devrait être capable de tenir 72 heures en autonomie en cas de crise majeure. Nourriture, eau, médicaments… Cette préparation individuelle n'est pas du catastrophisme, mais le premier maillon d'une chaîne de résilience à l'échelle du continent.

    « La préparation ne peut réussir qu'avec la participation active des citoyens », insiste l'ancien président finlandais. Un message qui résonne particulièrement dans son pays, où la culture de la préparation civile reste vivace. Quand on partage 1 340 kilomètres avec la Russie de Vladimir Poutine, on ne pense pas forcément comme un Français à l'abri de la dissuasion nucléaire. Ursula von der Leyen, en confiant, il y a sept mois, la rédaction de ce rapport à Sauli Niinistö, savait très bien ce qu'elle faisait. Le prisme finlandais d'un péril imminent et permanent imprègne le document.

    Mais le péril civil dans un monde au climat déréglé devient tout aussi imminent à l'Ouest, comme nous le rappellent les inondations fulgurantes qui endeuillent l'Espagne ces jours-ci. Faudra-t-il se doter de bouées ou de canots de sauvetage gonflables dans les zones inondables, voire dans les coffres d'automobile, à côté du triangle orange, puisque les inondations espagnoles ont causé des morts parmi ceux qui ont été surpris au volant et emportés par les flots déchaînés ?

    Pour Sauli Niinistö, il ne s'agit pas d'alimenter les peurs, mais au contraire de renforcer la confiance : des citoyens préparés sont des citoyens plus résilients face aux crises. L'Europe tirerait ainsi les leçons de la pandémie de Covid-19 qui a mis à jour son impréparation : pas de masques, pas de gants, la découverte de vulnérabilités en matière de médicaments, de lits d'hôpital, etc. Le rapport Niinistö n'est pas le premier du genre. Michel Barnier, en 2016, avait aussi rédigé un rapport sur la préparation aux crises. Mais il fut ignoré par les dirigeants européens et fut rangé dans le tiroir sans fond des oubliettes. Le rapport Niinistö connaîtra-t-il le même sort ?

    Pandémie, climat déréglé et guerre, le trio infernal

    En tout cas, son diagnostic est largement partagé. « Depuis le début de cette décennie, l'UE a connu la pandémie la plus grave depuis un siècle, la guerre la plus sanglante sur le sol européen depuis 1945, et l'année la plus chaude jamais enregistrée. » Un triptyque infernal qui laisse entrevoir une Europe dangereusement vulnérable. Et largement dépendante !

    Voyons les chiffres : l'UE importe 97,6 % de son gaz naturel, 97,7 % de son pétrole et 100 % de son uranium. Une dépendance énergétique critique qui s'accompagne d'un inquiétant déséquilibre militaire : en 2024, les dépenses de défense russes atteignent 388 milliards de dollars (en parité de pouvoir d'achat), presque autant que les 428 milliards des membres européens de l'Otan réunis. « Poutine a clairement fait comprendre il y a déjà dix ans qu'il nous voit, nous les Occidentaux, comme faibles, et donc que l'Occident est faible. Il semble vraiment penser de cette façon. Nous devons changer cette perception » , avertit Niinistö.

    Se passer de l'Oncle Sam

    « Si nous ne faisons pas tout notre possible pour notre propre sécurité, nous ne pouvons pas attendre des autres qu'ils le fassent pour nous, » poursuit-il, anticipant l'évolution inexorable des États-Unis, quel que soit le vainqueur des élections américaines du 5 novembre. Toutes les chancelleries européennes savent que les États-Unis pourraient être moins présents en cas de crise simultanée avec la Chine en Asie. Elles le savent, mais l'anticipent-elles ?

    Le rapport préconise l'intégration systématique de modules sur la préparation aux crises dans les programmes scolaires, incluant la cybersécurité, l'éducation aux médias et la résilience face à la désinformation. Une génération d'Européens mieux armée face aux menaces hybrides.

    Le prix de l'imprévoyance

    Les crises récentes ont démontré le coût exorbitant de l'imprévoyance. La pandémie de Covid-19 a amputé le PIB de la zone euro de 16 %. Les événements climatiques extrêmes ont coûté 650 milliards d'euros à l'UE entre 1980 et 2022, dont 112 milliards sur la seule période 2021-2022. À l'inverse, chaque euro investi dans la préparation aux pandémies génère 13,30 euros de retour sur investissement, selon le rapport.

    L'investissement premier est chiffré : 500 milliards d'euros de dépenses supplémentaires dans la défense sur dix ans. La création de deux nouveaux fonds est proposée : une « Facilité Europe de la défense » et une « Facilité Europe de la sécurité ». Objectif : consacrer au moins 20 % du budget européen à la sécurité et à la préparation aux crises. Sur ce point, la présidente von der Leyen a estimé qu'il ne fallait pas prendre ce chiffre au pied de la lettre mais comme « un objectif ».

    Une nouvelle architecture de sécurité

    Au niveau institutionnel, le rapport préconise la création d'un « hub » central de gestion de crise et d'un service européen de renseignement. Les partenariats publics privés doivent être renforcés, notamment pour constituer des stocks stratégiques européens. La coopération UE-Otan doit être approfondie, tout en préservant l'autonomie de décision européenne.

    Parmi les projets phares identifiés comme « Projets de défense d'intérêt commun », le rapport met particulièrement l'accent sur la défense aérienne. Un bouclier antimissile aérien, partagé entre les 27, constituerait non seulement une contribution majeure à la sécurité collective, mais aussi un moyen de renforcer la base industrielle de défense européenne à travers la coopération. Mais comment le financer ? Un emprunt commun est-il, de nouveau, justifié ? Ursula von der Leyen, interrogée mercredi à ce sujet, écarte ce moyen car elle sait que l'Allemagne et les pays frugaux l'écartent d'emblée.

    Pas d'endettement commun

    À DécouvrirLe Kangourou du jourRépondreLa présidente de la Commission préfère s'en tenir à une méthodologie prudente dans ce domaine où les États membres veillent à préserver leur totale souveraineté. « Nous devons d'abord avoir une discussion : y a-t-il des projets majeurs d'intérêt européen commun ? commence-t-elle, avec le souci de ne pas brûler les étapes. Par exemple, un bouclier de défense aérienne pour l'Union européenne. Si c'est le cas et que c'est une vaste nécessité transfrontalière, est-ce que nous les considérons comme un projet européen commun que nous voulons faire avancer ensemble ? Enfin, on en vient aux finances et il y a deux façons de financer : soit des contributions nationales, soit de nouvelles ressources propres ajoutées au budget européen. » Donc, pas d'emprunt commun.

    « Le monde qui nous entoure n'attendra pas que l'Europe soit prête », prévient Sauli Niinistö. Cette mise en garde finale résume l'urgence de la situation. Face aux régimes autoritaires qui perçoivent l'Occident comme faible, l'Europe doit démontrer sa résilience. Le rapport Niinistö pose les bases d'une véritable « Union de la préparation », concept qui devrait être au cœur du prochain mandat de la Commission européenne. Reste à voir si les États membres auront la volonté politique de suivre ces recommandations ambitieuses. Le coût peut sembler élevé, mais comme le souligne le rapport, il sera toujours infiniment moindre que celui de l'impréparation face aux crises majeures qui s'annoncent.

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