La colère couve dans la zone maraîchère de Bordeaux. Frappés par deux tempêtes coup sur coup, les agriculteurs ont enduré cet automne une pluviométrie exceptionnelle d’environ 375 millimètres d’eau en 20 jours. Fatalement, les vents violents ont débâché des serres déjà fragilisées par l’orage de grêle de juin 2022 et les fortes précipitations ont entraîné des pertes dans les cultures.
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Gironde : des agriculteurs de la zone maraîchère de Bordeaux tirent la sonnette d’alarme sur le risque inondation
Gironde : des agriculteurs de la zone maraîchère de Bordeaux tirent la sonnette d’alarme sur le risque inondation
Des agriculteurs d’Eysines et de Bruges sont excédés par le manque d’entretien de la Jallère à laquelle sont connectés le Lac de Bordeaux et l’étang de la Hutte de Bruges. Le mauvais écoulement des eaux lors de gros épisodes pluvieux menace leurs cultures. Ils pointent l’urbanisme grandissant et les défaillances de la MétropoleLa maraîchère Floriane Laville redoute de voir ses serres régulièrement noyées sous les eaux si rien n’est fait.
Floriane LavilleÀ cette conjoncture défavorable se sont ajoutés, pour certains, des éléments structurels aggravants liés à la tenue du réseau hydraulique du marais. « Entre les ASA (associations syndicales agréées) des agriculteurs qui doivent ouvrir ou fermer certaines vannes et les services de Bordeaux Métropole qui gèrent cette zone, notamment pour éviter l’inondation de Bordeaux-Lac, on s’y perd. Trop de strates au-dessus de nous. On ne sait plus qui fait quoi », commente Aurore Cessateur-Sournac, agricultrice et élue à la Chambre d’agriculture. Et d’ajouter : « L’absence de communication peut engendrer de gros dégâts. On vient de le voir. Cette crise a eu au moins le mérite de mettre tout le monde autour de la table pour pointer les dysfonctionnements. Des réponses pérennes sont attendues, entre autres un protocole lisible sur la gestion du marais. »
Selon Philippe Laville, les maraîchers déjà confrontés à des hausses de coûts n’accepteront plus longtemps de vivre avec la « guillotine » des inondations au-dessus de leur tête
Olivier DelhoumeauRéunion d’urgence
Aurore Cessateur-Sournac fait allusion à une visite de terrain organisée le 15 novembre avec l’élu métropolitain Patrick Papadato (stratégie nature, biodiversité et résilience alimentaire), suivie d’une réunion d’urgence le lendemain en mairie d’Eysines impulsée par la maire Christine Bost. Y assistaient des agriculteurs aux terres sous les eaux et des représentants de services métropolitains (Sabom, Gemapi). Le jour même, une pompe supplémentaire était installée en bout de Jallère (ou Jalle noire) pour accélérer l’évacuation des eaux vers la Garonne.
Si le niveau a fini par baisser, le problème de fond subsiste, selon Philippe Laville, maraîcher à Bruges depuis quatre décennies. « Avant de nettoyer les fossés, la priorité est de s’occuper de l’axe principal : la Jallère. C’est le nerf de la guerre. Si on ne l’entretient pas, elle ne tire plus. Or cela fait plus de dix ans que je n’ai vu personne la curer », évalue-t-il, pointant la responsabilité de Bordeaux Métropole.
Les bouts abîmés des carottes doivent être coupés avant d’être vendus à des clients qui acceptent les conditions.
Olivier DelhoumeauUne luge
Problème, l’étang de la Hutte de Bruges et le Lac de Bordeaux sont reliés par écluses à la Jallère, censée absorber le trop-plein lorsque la cote d’alerte de ces deux bassins est atteinte. « Quand on les ouvre et que ça ne s’écoule plus normalement, l’eau reflue. Ce sont nos terres agricoles qui trinquent », déplorent Philippe Laville et sa fille Floriane, également agricultrice.
Une course contre la montre s’est engagée pour récolter les légumes (carottes, patates douces, courges, etc.) abîmés dans des sols toujours détrempés à ce jour. Au plus fort des précipitations, « les tracteurs et les brouettes ne passaient plus dans les champs, peste Philippe Laville. On s’embourbait. Certains tunnels étaient inondés. J’ai dû bricoler un système de luge pour porter des colis de 25 kilos. Grâce au dévouement de nos salariés, on a pu sortir quelques produits. »
Toutefois, les pertes (le préjudice est toujours en cours d’évaluation) seront conséquentes. Spécialisée dans les circuits courts, Aurore Cessateur-Sournac a dû privilégier les 13 Amap qu’elle fournit au détriment de deux magasins. Philippe Laville, qui travaille avec la restauration collective, a reçu le soutien de plusieurs cuisines centrales (Sivom du Haut-Médoc à Blanquefort, collège Edouard-Vaillant à Bordeaux et lycée Pape-Clément à Pessac).
Urbanisation
Au-delà des considérations sur le changement climatique, les maraîchers touchés mettent en cause l’urbanisation à outrance du secteur (Bordeaux-Lac, Le Tasta) qui a contribué à imperméabiliser les sols. Ils considèrent que les ouvrages hydrauliques de la Jallère ne sont plus adaptés à la donne actuelle.Vice-présidente métropolitaine déléguée à l’aménagement urbain et naturel, Christine Bost tient à rappeler le caractère exceptionnel des précipitations de novembre. Toutefois, l’élue reconnaît la nécessité d’une meilleure coordination. « Associations de maraîchers, Sabom (traitement des eaux) et dispositif Gemapi doivent travailler ensemble pour rendre le système d’alerte plus efficace. Il y aura forcément des travaux hydrauliques à budgéter. Lesquels ? Selon quel calendrier ? Une remise à plat s’impose », admet l’élue qui a provoqué une nouvelle réunion entre services techniques, ce jeudi 30 novembre, à la métropole. Curage ? Installation d’une deuxième vis sans fin pour accélérer le débit à l’exutoire de la Jallère ? Les questions sont posées.
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