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Les étrangers demandeurs d’une carte de séjour pluriannuelle, doivent-ils uniquement «assister à des cours de français»
Les étrangers demandeurs d’une carte de séjour pluriannuelle, doivent-ils uniquement «assister à des cours de français», comme le dit le secrétaire d’Etat Othman Nasrou ?
par Jacques Pezetpublié le 25 octobre 2024 à 19h26En matière d’intégration, le nouveau secrétaire d’Etat chargé de la Citoyenneté et de la Lutte contre les discriminations, Othman Nasrou, a annoncé dans de nombreux médias qu’il veut conditionner l’obtention des titres de séjour à une plus grande maîtrise de la langue française.
Dans un entretien au Parisien, le 22 octobre, le secrétaire d’Etat rattaché au ministère de l’Intérieur affirme qu’«aujourd’hui, un étranger inscrit dans un “contrat d’intégration républicaine” doit assister à un certain nombre de cours de français, jusqu’à 600 heures selon les cas ; mais sans obligation de niveau à la fin». Sur Europe 1, jeudi 24 octobre, Othman Nasrou soutient à nouveau qu’«aujourd’hui, au moment où on parle, l’obligation est effectivement une obligation d’assiduité donc d’assister à un certain nombre d’heures de cours qui vous sont indiqués, en fonction de votre niveau. Mais effectivement il n’y a pas de test à la fin pour vérifier l’atteinte [d’un niveau de langue]».
Pour remédier à cette absence de niveau de langue exigé pour qu’un étranger obtienne un titre de séjour, le secrétaire d’Etat a détaillé son plan au Parisien : «Nous allons désormais demander [à un étranger] de passer un examen pour vérifier l’atteinte d’un certain niveau de français. Pour un titre de séjour pluriannuel, il faudra être au moins à un niveau A2, c’est-à-dire l’équivalent d’une langue vivante étrangère pour les collégiens français en 4e. Pour une carte de résident, ce sera le niveau B1, c’est-à-dire le niveau d’une langue vivante étrangère de classe de troisième.» Les niveaux évoqués correspondent au classement établi par le cadre européen de référence pour les langues (CECRL).
Dans cet entretien, Othman Nasrou reconnaît toutefois que la loi immigration de 2024, dite loi Darmanin, a introduit ces objectifs de niveau de langue, qui permettent de refuser la délivrance d’une carte pluriannuelle, d’une carte de résident ou d’une naturalisation. «Je souhaite que l’on accélère leur préparation et même leur mise en œuvre. La loi prévoit que, au 1er janvier 2026, ces dispositions soient opposables à la délivrance d’un titre de séjour. Je vais demander aux préfets que nous soyons opérationnels dès le 1er juillet 2025 à titre expérimental dans le domaine de la maîtrise du français», déclare le secrétaire d’Etat.
Les déclarations d’Othman Nasrou contiennent du vrai comme du faux. La loi Darmanin a effectivement introduit une connaissance minimale de la langue française (niveau A2) pour les immigrés qui demandent une première carte de séjour pluriannuelle. Cette carte de séjour, généralement valable quatre ans, est uniquement délivrée après l’obtention d’une carte de séjour temporaire. Mais les étrangers devaient déjà justifier d’un niveau minimal de français pour la naturalisation ou la demande d’une carte de résident, valable dix ans.
«Sans obligation de résultat»
Dans un dossier consacré au critère de langue de la loi Darmanin, antérieur à la promulgation de cette loi immigration, l’association d’aide aux étrangers, la Cimade, expliquait les règles alors en vigueur : «Aujourd’hui, les personnes n’ayant pas le niveau débutant en français (niveau A1) et désirant avoir une carte pluriannuelle (de deux à quatre ans) ont l’obligation de suivre entre 200 à 600 heures de cours de français.» Ce que confirmait le site du Service public dans le dossier accompagnant la loi Darmanin : «Aujourd’hui, ces cartes de séjour, en général valables quatre ans, sont délivrées à la seule condition d’avoir suivi un apprentissage du français dans le cadre du contrat d’intégration républicain, mais sans obligation de résultat.»
Joint par CheckNews, le professeur de droit public à l’Université de Grenoble et spécialiste du droit des étrangers Serge Slama confirme que «dans le système actuel, avant l’entrée en vigueur de la loi Darmanin sur ce point, les étrangers passent tout de même le test de niveau même si cela n’a pas d’incidence sur la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle. Mais ils peuvent obtenir la certification, qui est utile dans d’autres démarches comme l’université». L’introduction d’une maîtrise du français requise pour les demandes de cartes pluriannuelles «a bien été prévue par la loi du 26 janvier 2024, mais les décrets d’application n’ont pas encore été pris. Ça doit rentrer en vigueur le 1er janvier 2026 le temps que les opérateurs de l’Ofii s’adaptent», indique l’universitaire.
Si l’introduction d’un niveau de français a donc bien été mise en place par la loi Darmanin, les déclarations d’Othman Nasrou peuvent sembler trompeuses puisqu’elles ne font pas de distinction avec la situation des demandeurs d’une carte de résident, valable 10 ans, pour laquelle une obligation de maîtrise de la langue était déjà demandée avant la loi Darmanin.
Comme le rappelait la Cimade, avant la loi immigration promulguée en janvier, il fallait «présenter un diplôme de français. Les examens pour le diplôme doivent être organisés par des structures agréées par l’Etat et les frais d’inscription varient de 90 euros à 140 euros». Le niveau de français exigé pour la carte de résident était celui du A2. Avec la loi immigration, le gouvernement précédent a relevé l’exigence au niveau B1, qui est recommandé aux étudiants étrangers pour suivre des cours à l’université. De même pour la naturalisation (les démarches pour obtenir la nationalité française), la loi Darmanin a fait passer l’exigence d’un niveau B1 à B2.
Une mesure qui ne s’applique pas aux Algériens
Que se passera-t-il si les étrangers échouent à ces tests de langue ? «Ces étrangers resteront bloqués sur un séjour temporaire qui rend plus difficile l’intégration (difficulté d’accès au logement, aux prêts bancaires, etc.)», estime Serge Slama. Il estime que cette exigence d’un certain niveau de langue est «discriminatoire» car elle «favorise les étrangers qui ont déjà un bon niveau éducatif c’est-à-dire qui appartiennent à certaines classes sociales favorisées». Un étranger venu d’un pays où il n’a pas bénéficié du bon système scolaire, notamment en matière d’alphabétisation, aura plus de difficulté à obtenir une certification A2, en raison des épreuves d’écriture ou de compréhension écrite.
Suite à la publication de cet article, Serge Slama nous a transmis la remarque de l’avocate Anaïs Place, spécialisée dans le droit des étrangers, qui observe que «les étrangers qui échouent au test de langue resteront bloqués sur un séjour temporaire puis perdront leur droit au séjour puisque la loi du 26 janvier 2024 a également prévu que «Par dérogation à l’article L. 433-1, il ne peut être procédé à plus de trois renouvellements consécutifs d’une carte de séjour temporaire portant une mention identique». Pour le professeur de droit public, cet aspect de la loi aura pour conséquence de créer « encore une usine à OQTF » puisque «l’étranger avec une carte de séjour temporaire, qui échoue trois fois au test, aura un refus et une obligation de quitter le territoire français».
Une inquiétude partagée par la Cimade dans un décryptage de la loi Darmanin: « Cette limitation à trois titres temporaires (d’une durée d’un an) portant une même mention aura un effet particulièrement absurde et terrible pour les personnes étrangères : un certain nombre d’entre elles ne seront plus régularisées que pour trois ans au maximum, et redeviendront sans-papiers après cette période. Cette limitation fermera définitivement la porte aux personnes précaires non francophones, qui ne parviendront peut-être pas à obtenir une carte pluriannuelle ou une carte de résident faute d’obtention d’un niveau suffisant en français, à l’image du public peu ou pas scolarisé et dont la langue maternelle a une grande distance linguistique avec le français ».
Selon l’étude d’impact de la loi Darmanin, avec cette exigence de niveau de langue, «15 000 à 20 000 signataires [d’un contrat d’intégration] se verraient refuser une carte de séjour pluriannuelle si l’on exigeait le niveau A2».
A noter que cette mesure ne s’applique pas aux étrangers issus de l’Union européenne, ni aux Algériens puisqu’ils bénéficient de l’accord franco-algérien de 1968, ni aux étrangers qui ont obtenu le bénéfice du statut de réfugié, de la protection subsidiaire ou du statut d’apatride.
Article mis à jour le 25 octobre à 22h28: ajout de l’analyse de l’avocate Anaïs Place, de la Cimade et de Serge Slama, sur la limitation à trois test pour les étrangers ayant un titre de séjour temporaire.
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