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    Expulsion ou intérim : le cruel dilemme des ouvriers agricoles sans-papiers

    Créée en 2008 et drastiquement resserrée l’été dernier, la liste des métiers en tension encadre la politique d’immigration professionnelle et n’a jamais mentionné la profession d’ouvrier agricole.
    AFP

     

    Expulsion ou intérim : le cruel dilemme des ouvriers agricoles sans-papiers

    Immigration

    Par Thomas Rabino

    Publié le 17/01/2022 à 12:27

    Immigration et intégration, déficit de main-d’œuvre dans le monde agricole ou encore condition des travailleurs détachés : l’histoire de Mokhtar Sadigou, un ouvrier agricole ivoirien menacé d’expulsion, concentre bien des problématiques. Enquête.

    C’est au domaine la Castelette, près du village de la Tour d’Aigues (Vaucluse), que Mokhtar Sadigou vit et travaille depuis 2019. Un havre de paix pour cet exilé exploité plusieurs mois sur des chantiers de construction en Libye, qu’il a fuie avant, dit-il, « d’être rapté, vendu ou tué ». Il paye alors un passeur et rallie Lampedusa, puis la France en juin 2017, sans aucun titre de séjour. Employé illégalement sur des chantiers parisiens et dans un centre de tri postal, il entend parler de paysans en recherche de main-d’œuvre dans le sud de la France et rencontre François Lachal, agriculteur installé à la Tour d’Aigues depuis 1982. À la tête d’une exploitation de 35 hectares, il y cultive la vigne et des herbes de Provence bio.

     

    Après le départ en retraite de mon précédent ouvrier agricole, j’ai mis près de cinq ans à lui trouver un successeur », explique François Lachal. Or, Mokhtar travaillait déjà la terre en Côte d’Ivoire. « Il est volontaire et motivé », renchérit José, octogénaire et ami de la famille. L’ouvrier est donc embauché et logé dans une partie indépendante de la maison qu’occupe son patron : 35 heures hebdomadaires, un salaire supérieur au Smic et de nouveaux amis offrent à Mokhtar tout ce qu’il espérait.

     

     

     


  • Quand ça veut pas...

    Dépenses de santé: pourquoi la «Grande Sécu» a (re)fait pschitt

    Résoudre les problèmes d’inégalités d’accès aux soins tout en optimisant les coûts réclame une refonte du modèle de protection sociale trop complexe pour être consensuelle

    Carte vitale 17/01/2022 Bayle
    Le déploiement d'une « Grande Sécu » ne règle pas la question des dépassements d'honoraires médicaux.
    Sipa Press
    Les faits -

    Après des mois de discussions houleuses, le Haut conseil pour l’avenir de l’Assurance-maladie (Hcaam) a rendu public vendredi un rapport sur l’articulation entre Sécurité sociale et Assurance-maladie complémentaire dans la prise en charge des remboursements de soins.

    De l’aveu de son vice-président, Pierre-Jean Lancry, en novembre 2021, le Haut conseil pour l’avenir de l’Assurance-maladie (Hcaam) est « parti en live ». En cause : une fuite dans Les Echos des travaux de cette honorable et discrète instance de réflexion sur l’articulation entre Assurance-maladie obligatoire et complémentaires santé. A la demande du ministre de la Santé Olivier Véran, l’objectif de la commande de départ était de dégager des pistes d’amélioration d’accès aux soins des Français (dont 4 % n’ont pas de complémentaires), en particulier les retraités et les personnes précaires, si possible au travers d’un modèle économique de protection sociale plus soutenable qu’en l’état.

    Parmi les quatre scénarios sur la table, un seul a retenu l’attention médiatique et a jeté le trouble : l’avènement d’une Sécurité sociale toute puissante, en charge du remboursement de l’intégralité des dépenses de santé, grâce à une hausse des cotisations sociales patronales et de la CSG. Une réforme qui signerait, dans sa version la plus radicale, la mort programmée de 450 complémentaires (330 mutuelles, 100 assurances et 20 institutions de prévoyance) qui couvrent aujourd’hui 13 % des soins des Français. « Cette fuite médiatique fut un moment pénible dans la vie du Hcaam, s’est remémoré ce lundi Pierre-Jean Lancry, lors d’une rencontre organisée par l’Association des journalistes de l’information sociale. Cette histoire a fait le buzz partout. Il a fallu une véritable volonté collective pour éviter un éclatement de l’intérieur du Haut conseil. »

    Onde de choc. Cette onde de choc a eu un tel impact sur son fonctionnement que l’instance n’a pas réussi à trouver la voie du consensus. Le rapport de 138 pages publié en fin de semaine dernière reprend les quatre scénarios d’origine, mais n’émet aucun avis, aucune recommandation. Une première en 19 ans d’existence. Orchestrée ou non par l’un des 70 membres du Haut conseil (partenaires sociaux, parlementaires, Etat, Assurance-maladie, complémentaires, syndicats médicaux, patients, etc), la fuite médiatique n’est pas l’unique explication à cette tempête, qui sévit depuis des lustres. Car sous des apparences techniques, la redistribution des rôles de payeurs de 210 milliards d’euros de dépenses annuelles de santé (11,2% du PIB)est éminemment politique.

    C’est ce qui explique pourquoi l’idée de cette assurance-maladie universelle (théorisée en 2017 dans une tribune au Monde du puissant patron de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, Martin Hirsch, et du nouveau vice-président du Conseil d’Etat Didier Tabuteau, proche d’Olivier Véran) sort du placard à chaque présidentielle… pour y être remisée une fois l’élection passée, tant le consensus semble improbable. Et cette campagne 2022 ne déroge pas à ce petit jeu.

    « On avait l’impression que, quoi qu’on dise, aucune de nos propositions n’était entendue puisque le ministère poussait en faveur de la Grande Sécu. Les dés étaient pipés »

    Alors que le Hcaam a commencé à s’intéresser au sujet il y a quatre ans, la publication du rapport, qui était prévue en novembre, a donné lieu à des tractations de dernière minute digne d’une constitution de gouvernement. Menacées au premier chef, certaines complémentaires santé ont proposé de ne rien publier du tout, d’autres d’ajouter en annexe leurs contributions personnelles pour faire davantage porter (et différencier) leur voix.

    Sac de nœuds. « Nos réunions ressemblaient à une chambre d’enregistrement, se souvient un assureur. On avait l’impression que, quoi qu’on dise, aucune de nos propositions n’était entendue puisque le ministère poussait en faveur de la Grande Sécu. Les dés étaient pipés. » Ce dimanche, la présidente de France Assureurs (Ex-FFA) Florence Lustman a enfoncé le clou en jugeant que les travaux du Hcaam (dont elle est partie prenante) répondent à une « tentative d’instrumentalisation visant à stigmatiser les complémentaires santé », ce dont le ministère de la Santé s’est toujours défendu.

     

    Si la piste d’une Sécurité sociale aux coudées franches n’a, une fois de plus, débouché sur rien de concret, c’est aussi parce que derrière cette idée se niche un autre sac de nœuds : avec la disparition des complémentaires santé, qui pour rembourser les 3,2 milliards d’euros de dépassements d’honoraires médicaux annuels dans les cabinets de ville et cliniques ? Qui pour réclamer aux médecins et à leurs puissants syndicats de réfréner les ardeurs tarifaires des docteurs les plus gourmands sans être accusés de vouloir étatiser la médecine libérale ? Le Hcaam a l’intention d’ouvrir ce nouveau front cette année. Reste aux candidats à l’élection présidentielle à se saisir du sujet.