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Salomé Zourabichvili : « La menace russe n’a plus de frontières »
Salomé Zourabichvili : « La menace russe n’a plus de frontières »
INTERVIEW. La présidente de la Géorgie dénonce la guerre hybride menée par le Kremlin contre son pays et conteste la victoire du parti prorusse aux législatives.
Le parti prorusse Rêve géorgien, au pouvoir depuis 12 ans à Tbilissi, a revendiqué la victoire après les élections de samedi 26 octobre. L'opposition pro-européenne, soutenue par la présidente Salomé Zourabichvili, dénonce une manipulation des résultats et appelle à manifester ce lundi soir en Géorgie. Les États-Unis et l'Union européenne réclament une enquête sur de possibles fraudes électorales. La commission électorale centrale affirme que le Rêve géorgien aurait obtenu une majorité de 54 % des voix, ce qui pourrait lui fournir une large majorité de 91 sièges sur 150 au Parlement, contre 38 % à la coalition pro-UE. La cheffe de l'État, en rupture avec le gouvernement, a accordé une interview au Point.
Le Point : Vous dénoncez une « falsification totale » de l'élection. Pouvez-vous nous en dire plus sur la manière dont cela a été orchestré ?
Salomé Zourabichvili : Je ne peux pas vous donner tous les détails précis de l'orchestration. Cependant, toutes les ressources de fraude électorale connues ont été utilisées, y compris de nouvelles technologies, utilisées ici pour la première fois et qui étaient imprévisibles par les organisations d'observation. C'est une opération très sophistiquée et organisée. Des groupes ont été mobilisés pour déstabiliser certains bureaux de vote et détourner l'attention pendant que d'autres actions se déroulaient ailleurs.
Quelles sont ces nouvelles technologies ?
Il s'agit d'appareils électroniques de vote qui, bien que censés être autonomes, ont été détournés de leur usage. Ils ont été utilisés comme ce qu'on appelait autrefois le « carrousel » – permettant à des personnes de voter plusieurs fois dans différents bureaux avec des cartes d'identité empruntées, sans possibilité de recoupement.
À LIRE AUSSI Le grand retour de la Russie au CaucaseCes malversations sont-elles suffisantes pour inverser le résultat du scrutin ?
Les sondages de sortie des urnes, réalisés par une organisation très sérieuse qui a toujours été précise à 2 % près, donnaient l'opposition gagnante. On le voit aussi dans les résultats des votes à l'étranger, où l'opposition l'emporte à 80-85 %. À l'étranger, la falsification n'a pas été possible, même si d'autres obstacles ont été mis en place : blocage de l'ouverture de bureaux de vote supplémentaires malgré la présence d'un million de citoyens géorgiens à l'étranger, problèmes d'inscription sur les listes électorales, et débordement organisé des bureaux existants. En Géorgie comme à l'étranger, les représentants dans les commissions électorales sont sélectionnés par une commission centrale complètement aux ordres. Les représentants indépendants du pouvoir ont été écartés de ces commissions.
Pourquoi la Russie cible-t-elle votre pays ?
Notre pays a été agressé par la Russie trois fois dans la période récente. Avant cela, nous avons subi la domination de l'Union soviétique, qui a anéanti notre Église et notre société, et encore avant, celle de l'Empire russe. Dans toute l'ancienne sphère soviétique, la Russie continue d'agir par divers moyens : propagande, déstabilisation – c'est une guerre hybride typiquement de fabrication russe.
Quel message souhaitez-vous adresser aux dirigeants de l'Union européenne ?
La Géorgie est victime d'une guerre hybride. La Russie mène contre nous une guerre d'une forme différente, dans laquelle nous avons besoin d'être défendus et soutenus. La population, qui depuis 30 ans manifeste son soutien à l'orientation européenne de la Géorgie, a besoin d'être soutenue. Le gouvernement actuel, bien qu'il ait inscrit l'orientation européenne dans la Constitution, agit aujourd'hui de manière infidèle à ces principes, clairement sous la pression russe.
Vous sentez-vous suffisamment soutenue par les dirigeants européens ?
On n'est jamais suffisamment soutenu, mais nos partenaires européens ont accordé à la population géorgienne le statut de candidat à l'UE. Ils l'ont fait après avoir vu notre population descendre dans la rue pour défendre le pays contre les lois d'inspiration russe qui menacent de réprimer la société civile, les ONG et les médias. Nous sommes à un tournant, et je sais que nos partenaires européens savent de quel côté ils doivent être.
Pourquoi les populations en Europe doivent-elles se sentir concernées ?
Nous sommes l'avant-front face à la Russie. Nous démontrons ce que ce pays peut faire à ses voisins. Ces méthodes de propagande et de déstabilisation, la Russie les utilise aussi dans les élections des pays européens et aux États-Unis. Il n'y a plus de frontières à la menace russe, qui persistera tant que la Russie n'acceptera pas de respecter les frontières de ses voisins et d'avoir des relations normales et civilisées avec le reste du monde. On ne peut pas accepter de se faire voler l'avenir européen de la Géorgie. La population a cru qu'elle pouvait voter démocratiquement pour retrouver cet avenir européen – c'était l'enjeu principal de ces élections, plus que le pouvoir. Il s'agissait de reprendre rapidement la voie ouverte par le statut de candidat qui devait nous mener à l'ouverture de négociations. C'est pour cela que la Géorgie a voté, et c'est pour cela qu'elle va descendre dans la rue pour défendre ce choix et son avenir européen.
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