Après trente ans d’activité, il est toujours là. Derrière le bar du Lucifer, emblématique établissement de la rue de Pessac à Bordeaux. Dans ce métier de nuit, il n’est pas facile de durer. Les clients arrivent dès 18 heures et le lieu de détente ferme ses portes à 2 heures. L’activité n’est pas de tout repos. Et le plus grand risque du métier, derrière un bar, est de prendre l’habitude de se verser régulièrement des bières… « Je n’ai pas bu mon fonds de commerce ! », s’amuse le patron Jean-Yves Berthelot qui vient de fêter ses soixante ans. L’homme est toujours alerte, passionné de bière et motivé par son affaire.
La « cheminée » du Lucifer est en fait un ancien four à pain artisanale.
Sébastien Darsy
Le temps a passé depuis 1994, année d’ouverture du Lucifer. La cuisine fournit toujours des plats revigorants façon pub et les sculptures démoniaques qui y trônent n’ont pas bougé : « À chaque fois qu’on a exposé un artiste, on lui demandait en contrepartie de nous faire un diable. » L’une d’elles surplombe le four à pain en briques de l’ancienne boulangerie qui a précédé le bar. Comme si un pacte avait été conclu avec les forces obscures, les années ne semblent pas avoir de prise sur le lieu qui est resté prisé des amateurs de bière. À tel point que son patron peut déclarer aujourd’hui : « Si on connaît la rue de Pessac, c’est à cause du Lucifer ! »
À l’écart de la Victoire
Le lieu est en effet excentré du centre-ville festif. À l’époque, lors de son ouverture, les festivités (étudiantes) se déroulaient place de la Victoire. Laquelle au fil du temps s’est beaucoup assagie. Il fallait donc une bonne raison pour se rendre au Lucifer. « Je voulais un lieu tranquille, se rappelle le patron. Nous avons été les premiers à ouvrir un bar à bière avec des spécialités belges. » Le nom, Lucifer, est une allusion à ces breuvages aux intitulés provocateurs : « La mort subite », « La Gueuze », etc.
« Avec mon camion, j’allais m’approvisionner en bières. Je faisais trente heures de route toutes les trois semaines »
« Les premiers clients ont été tellement surpris… Rien à voir avec la bière industrielle de soif. » C’est ainsi que le lieu s’est singularisé ; les étudiants désireux de converser entre amis et de déguster des produits atypiques n’ont pas tardé à le fréquenter. En s’inspirant d’un bar à bière, à Poitiers, dont il est originaire, Jean-Yves Berthelot a eu le nez creux. Non sans produire d’énormes efforts : « On a fait les salons de la bière, il n’y avait pas beaucoup de distributeurs et la mode des bières artisanales locales n’existait pas comme aujourd’hui, se souvient-il. Avec mon camion, j’allais m’approvisionner en bières. Je faisais trente heures de route toutes les trois semaines. » Aujourd’hui, en pression ou bouteille, le Lucifer propose 250 références.
Partage et écoute
Durant vingt-huit ans, le Lucifer fut aussi un lieu propice au groupe de musique désirant se faire la main. Les concerts ont cessé mais le bar accueille toujours divers événements : du stand up, du cabaret burlesque et du théâtre d’improvisation.
« Le Lucifer est mon bébé, je m’y suis toujours senti bien, il y a ici beaucoup de partage humain. On ne s’ennuie jamais. Au bar, on passe beaucoup de temps à écouter les clients », conclut celui qui peut se targuer de ne jamais avoir eu besoin d’un videur pour gérer ses clients. Que lui souhaiter pour l’avenir ? « Que la bière continue à couler à flots ! »