• Big Bang

    Dépendance: les cinq clés pour déverrouiller les Ehpad

    Face à l’urgence démographique, le gouvernement veut enclencher le « virage domiciliaire ». La crise sanitaire et l’aggravation de la dette sociale compliquent la donne

    Dépendance: les cinq clés pour déverrouiller les Ehpad
    © Kak
     

    En juillet 2020, les accords du Ségur de la santé ont sanctuarisé 2,1 milliards d’euros pour le secteur médico-social : 1,5 milliard pour l’immobilier, 600 millions pour le numérique. Dans les 7 500 Ehpad publics et privés, 25 % des 600 000 places n’ont jamais été rénovées ces vingt dernières années. Une personne sur douze vit en Ehpad après 75 ans et une personne sur cinq après 85 ans, selon des données de l’Insee et du ministère de la Santé. Suspendu à la parole élyséenne, le projet de loi sur le grand âge et l’autonomie, défendu par la ministre chargée de l’Autonomie Brigitte Bourguignon et rebaptisé « générations solidaires », devrait être présenté en conseil des ministres le 28 juillet.

    Plutôt qu’un mouton, c’est l’Ehpad du futur que le gouvernement aimerait qu’on lui dessine. Le détournement de la célèbre phrase du Petit prince fait office de titre du séminaire organisé lundi prochain sous l’égide du ministère de la Santé. Olivier Véran, Brigitte Bourguignon et Roselyne Bachelot viendront y prêcher la bonne parole. Objectif : tirer les leçons de la crise sanitaire, très éprouvante pour le secteur médico-social, et faire tourner les méninges afin de repenser la prise en charge des personnes âgées et dépendantes, appréhender le virage domiciliaire sans risquer la sortie de route et médicaliser davantage les Ehpad. Comment ?

    1 – Faire des Ehpad un lieu de vie (et non de mort)

    Considérés comme révolutionnaires à leur création, il y a deux décennies, les Ehpad traversent une crise d’identité sans précédent. Avec 26 000 décès enregistrés sur les 108 000 morts liés à la Covid, l’épidémie a jeté une lumière crue sur un secteur que l’on préfère d’ordinaire éviter de regarder. Car malgré tous les efforts des autorités sanitaires et des 400 000 salariés du médico-social, les Ehpad souffrent d’une mauvaise réputation chronique, fondée sur l’image d’Epinal des hospices, où se pressaient personnes grabataires, handicapées et démunies jusqu’au milieu des années 1960, avant l’avènement des maisons de retraite et des résidences seniors.

    Plus d’un demi-siècle plus tard, les Ehpad doivent changer de peau et considérer que le temps à vivre des résidents, qui décèdent en moyenne à 89 ans après un séjour de trois ans, ne peut se réduire à l’attente de la mort. « Il y a tout de même du mieux, tempère Joachim Tavares, ancien directeur d’Ehpad et fondateur de Pappyhappy.fr, une plateforme sur le modèle de TripAdvisor qui recense 12 000 solutions d’hébergement. On constate une réelle montée en gamme sur l’hôtellerie et la restauration, les structures mettent en avant leurs collaborations avec de grands chefs, les logements sont plus agréables. La culture bien trop hospitalière et sanitaire a vécu. Avant, on allait dans l’Ehpad du coin. Maintenant, on commence à avoir le choix. »

    Comme souvent, le secteur privé et associatif (qui gère la moitié du parc) a développé avant le public des solutions de services innovantes. La plateforme Happytal a ouvert en juin un kiosque numérique qui permet de commander à distance des courses alimentaires ou d’avoir recours à un accompagnant pour la sortie dominicale d’un proche résident dans un Ehpad à l’autre bout de la France. La start-up collabore aussi avec La Poste, qui s’est diversifiée dans la santé en développant un programme de reconversion des facteurs en visiteurs au domicile des personnes âgées et isolées.

    2 – Penser la dépendance « out of the box »

    Les Ehpad ont beau être perfectibles, Brigitte Bourguignon a insisté lundi sur leur rôle clé, devant le comité de suivi du Conseil national de l’investissement en santé (Cnis). « Je ne veux pas qu’on imagine que le tout domicile serait LA solution. Il nous faut investir dans l’Ehpad de demain », a-t-elle recadré à l’intention des ayatollahs du tout-domiciliaire.

    De fait, la pression démographique nécessite de revoir la dépendance sous le prisme du parcours de la personne âgée. L’aller unique du foyer à l’Ehpad n’est plus de mise « face à la forte volonté de la société d’exiger de vieillir chez soi, quand bien même ce chez soi serait l’Ehpad », rappelle Luc Broussy, spécialiste du secteur. Les établissements ont donc entamé une transformation en profondeur de leur activité, intégrant de plus en plus l’idée d’une prise en charge à trois niveaux : à domicile pour les personnes les plus indépendantes avec en base arrière l’Ehpad, sa logistique et ses ressources humaines (infirmiers, gériatres) ; en résidence non médicalisée mais sous surveillance discrète 24 heures sur 24 pour les seniors en perte légère d’autonomie ; en maison de retraite pour ceux qui ont besoin d’une assistance et des soins médicaux permanents.

    Ouvert en 2019 à Saint-Etienne, le projet mutualiste de la Cité des aînés, avec ses 159 lits d’Ehpad, 35 appartements en résidence autonomie et 12 logements adaptés aux seniors dans un même quartier ouvert sur la ville, illustre ce mouvement de décloisonnement.

    Côté privé, Korian a confirmé sa transformation en 2018 avec l’acquisition du réseau d’aide à domicile pour personnes âgées Petit fils. En début de semaine, le groupe a inauguré deux nouvelles maisons de colocation pour 16 personnes âgées faiblement dépendantes à Attignat (Ain), via sa filiale Ages et vie.

    3 – Médicaliser vite et bien

    Cacher ces blouses blanches que nous ne saurions voir ! C’est le paradoxe des Ehpad qui, contrairement à leurs prédécesseurs – les maisons de retraite – affichaient dans leur cahier des charges originel une médicalisation évidente… tout en se refusant à considérer les structures comme des lieux de soins à proprement parler. Trop déprimant !

    En réalité, les Ehpad courent après les docteurs. Un tiers des établissements en sont totalement dépourvus. Et peu nombreux sont les médecins traitants qui ont le temps de rendre visite à ces patients fragiles. Certes, la loi prévoit une poignée d’heures par mois la présence d’un médecin coordonnateur, sorte de conseiller médical du directeur, mais son rôle est souvent cantonné à des tâches trop administratives pour que de nouveaux généralistes ou gériatres candidatent.

    Face à la nécessité d’armer au plus vite les Ehpad, un rapport remis lundi à Brigitte Bourguignon par les gériatres Claude Jeandel et Olivier Guerin considère qu’il faut donner aux médecins coordinateurs le droit de prescription. Dans la même veine, est préconisé le recours accru aux infirmiers en pratique avancée, ces super-paramédicaux très prisés outre-Manche qui pourraient assurer une permanence 24 heures sur 24, même à distance, grâce à la télémédecine et aux objets de santé connectés. Une nouvelle profession davantage valorisée que celle de l’infirmier « classique », dont les Ehpad manquent tout aussi cruellement.

    4 – Dénouer le sac de nœuds tarifaire

    Les rapports ont beau se succéder, rien n’est fait pour simplifier le mécanisme financier. Tentez de comprendre la logique des tarifs du médico-social relève du supplice chinois. Les Ehpad sont alimentés par trois flux différents : la dépendance est financée par le département via l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) et des réductions d’impôts ; les soins par l’assurance-maladie et, dans une moindre mesure, les complémentaires santé ; l’hébergement par le résident ou sa famille.

    A la maison, c’est pire. Les postes liés à la dépendance relèvent de six sources différentes. Cette complexité associée à l’absence de financement sur la coordination de la prise en charge ne permet pas le développement du maintien à domicile des personnes en perte d’autonomie, analyse le cabinet de conseil Proxicare.

    Dans l’attente d’une décision (ou pas) de l’exécutif, les poids lourds du sanitaire avancent leurs pions. Pour éviter de faire porter le poids de la dette sur les générations futures, la Mutualité propose l’instauration d’une assurance obligatoire de cinq à dix euros par mois adossée aux contrats responsables (95 % du marché). Un tiers de confiance serait chargé de reverser les fonds en complément de l’APA dès lors qu’un cotisant bascule dans la grande dépendance. En complément, les mutuelles réclament un plafond sur les tarifs des Ehpad pour éviter une explosion du reste à charge. Victime de fortes disparités d’un département à l’autre, le prix d’hébergement moyen en Ehpad est de 2 000 euros par mois.

    Autre idée portée par des députés LR dans une proposition de loi déposée le 15 juin : refiler la patate chaude aux départements. Pas sûr que ces derniers la jugent digeste.

    5 – Cesser d’infantiliser les résidents

    Instances nées il y a vingt ans mais encore trop peu connus des Français, les conseils de la vie sociale participent de l’essor de la démocratie sanitaire dans les Ehpad et les autres structures spécialisées.

    Il y a douze ans, Josiane Degremont a « ramené sa vie » dans la résidence autonomie de Maison-Alfort (Val-de-Marne, groupe Arpavie) pour se rapprocher de sa fille. Elle a tout de suite pris la présidence du conseil de la vie sociale, cette instance interne qui représente les 99 résidents du lieu et travaille de concert avec le directeur de l’établissement. La pétillante Josiane donne son avis sur tout et ça lui plaît. Elle apprécie la « liberté » qui est la sienne et pour rien au monde elle ne souhaiterait qu’on lui retire son mot à dire.

    Au même titre que, dans la cité, le patient est de plus en plus considéré comme l’acteur clé de son parcours de soins et non plus un pantin entre les mains du corps médical, la vision de la personne âgée change petit à petit. L’effet « boomer » y est pour quelque chose. « La génération qui commence à entrer dans la catégorie “seniors” est très différente de celle d’avant, conclut Maxence Petit, fondateur des domiciles partagés pour personnes âgées Colivio. Elle refuse la ghettoïsation et le principe de “retrait” de la société. Pour elle, le bien-être est aussi important que la valorisation de l’individu. » Des revendications que le secteur ne pourra mettre sous le boisseau s’il veut réussir sa mue.


  •  
    La Caravane sillonne la France depuis deux mois, à la rencontre des habitants des zones urbaines populaires et des zones rurales pour faire «	tomber le mur de l’indifférence	». Hamza Aarab
    La Caravane sillonne la France depuis deux mois, à la rencontre des habitants des zones urbaines populaires et des zones rurales pour faire « tomber le mur de l’indifférence ». Hamza Aarab
     

    Solidarité. La Caravane des quartiers, espace d’échanges mobile

    Mardi 6 Juillet 2021
    Émilien Urbach

    Née à Montpellier, cette initiative veut fédérer les projets portés par les résidants des quartiers populaires et faire entendre la voix d’une jeunesse trop stigmatisée.

     

    « O nt-ils été relogés ? », « Comment vont les enfants ? », « Heureusement ça ne s’est pas passé en pleine nuit ! » Dans le quartier du Petit-Bard, à Montpellier (Hérault), ce mercredi 30 juin, tout le monde reste marqué par l’incendie qui s’est déclenché la veille, en début de soirée, dans la cave d’une des barres d’immeuble. L’événement réveille dans les esprits le souvenir du drame du 13 juin 2004. Ce jour-là, un jeune a perdu la vie, asphyxié par les fumées du feu qui a ravagé son immeuble. Se sont ensuivies plusieurs semaines de mobilisation des habitants, appuyés par le Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB), l’association Droit au logement (DAL) et la Cimade. La lutte débouche sur la création de l’association Justice pour le Petit-Bard et la mise en place d’un plan de réhabilitation du quartier qui aura mis plus de dix ans à aboutir. Hamza Aarab, le cofondateur du Montpellier Méditerranée Futsal (MMF), est à l’époque un des plus jeunes militants du mouvement. Aujourd’hui, il est à l’initiative de la Caravane des quartiers, qui, depuis deux mois, sillonne la France à la rencontre des habitants des zones urbaines populaires et des zones rurales, pour faire « tomber le mur de l’indifférence » et agir pour la jeunesse des quartiers « avant qu’il ne soit trop tard ».

    « Ce sont ces jeunes perpétuellement stigmatisés par les élites qui n’ont pas hésité, mardi soir, à mettre leur vie en danger pour sortir les familles de chez elles, explique Hamza Aarab à l’approche du lieu de l’incendie. Je veux leur rendre hommage parce qu’ils sont mal vus par les adultes à l’intérieur du quartier et à l’extérieur par les médias et les politiques. Le message de la Caravane des quartiers, c’est d’affirmer que la société a besoin d’eux,

     

     

     




    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique