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    Souveraineté numérique

    A Bruxelles, le projet de loi sur les semi-conducteurs tourne au bras de fer Breton-Vestager

    Le commissaire européen au Marché intérieur veut frapper fort pour asseoir sa conception de la souveraineté industrielle, mais fait face à la résistance de sa supérieure hiérarchique danoise

    Margrethe Vestager et Thierry Breton 20/12/2021 Solal
    Margrethe Vestager et Thierry Breton.
    Sipa Press
    Les faits -

    La Commission européenne doit dévoiler au premier semestre 2022 sa proposition de loi sur les semi-conducteurs, le European Chips Act. Ce premier projet législatif visant à transposer de manière sectorielle les ambitions de la politique industrielle européenne doit inscrire dans le marbre la stratégie en matière de recherche et innovation, d’augmentation des capacités de production et de partenariats internationaux.

    « Croire que l’Europe doit dépendre des autres pour les semi-conducteurs est une illusion. Croire que nous pouvons nous satisfaire d’un contrôle partiel de cette chaîne d’approvisionnement stratégique est naïf. Croire que nous devrions laisser passer l’occasion de produire pour et d’exporter vers le reste du monde serait étriqué », tweetait le 12 novembre Thierry Breton, à propos de ces puces électroniques dont la pénurie affecte de nombreux secteurs au niveau mondial. Une déclaration qui visait la vice-présidente exécutive de la Commission chargée de la Concurrence, Margrethe Vestager, qui ne rate pas une occasion de discréditer les ambitions de l’ancien ministre de l’Economie français. Etre indépendant sur la production de puces ? « Infaisable », tranchait-elle ainsi le 29 novembre sur la chaîne américaine CNBC.

    Cette guerre des mots est pour le moins inhabituelle au sein d’une institution connue pour sa communication policée. « Les relations sont tendues depuis le début, et les conflits prennent encore plus d’ampleur avec la montée en puissance de Thierry Breton, explique une source du groupe parlementaire Renew auquel sont affiliés le Français et la Danoise. Il est de plus en plus visible sur les sujets clés et utilise cette visibilité pour renforcer sa position en interne. » Résultat : un agacement mutuel qui culmine sur le dossier des semi-conducteurs voué à donner le « la » de la politique industrielle européenne. « Cette guerre d’ego n’est pas indispensable, euphémise Elvire Fabry, de l’Institut Jacques Delors. D’un autre côté, cela reflète le clivage entre les grands pays, qui souhaitent l’édification de champions industriels, et les petits, qui craignent d’être laissés pour compte en cas d’investissement massif. Cette opposition interne permet de bien calibrer les propositions de la Commission. »

    « Mégafabs ». Mais la cohérence de ce mano a mano est de plus en plus menacée. « Ils ont tous les deux pris leur autonomie vis-à-vis d’Ursula von der Leyen, poursuit la première source. Avec une différence de taille : Breton est soutenu par un grand pays qui a joué un rôle déterminant dans la nomination de l’Allemande. Partant, Vestager vit mal son omniprésence. » Ce déséquilibre a déjà eu une première conséquence tangible en matière de semi-conducteurs, dans la communication sur la révision de la politique de concurrence présentée mi-novembre, qui envisagel’approbation d’une aide publique pour l’établissement « d’installations inédites ». Cette stipulation entrouvre la porte au projet phare de Thierry Breton : la construction d’une, voire plusieurs « mégafabs » à même de produire des puces de pointe. Une telle usine prendrait environ cinq ans à être construite et coûterait des dizaines de milliards d’euros.

    « Ces mégafabs permettront d’attirer tout un écosystème composé notamment de PME », assure une source à la Commission. Afin de doubler la part de l’UE dans la production (passant de 10 à 20%, soit un quadruplement des capacités pour un marché dont la valeur doit doubler d’ici là), Thierry Breton opte pour la course technologique, espérant permettre à l’UE de mieux peser dans le rapport de force géopolitique. « On n’est pas là pour compenser le manque d’investissement, mais pour enclencher l’innovation sur l’ensemble de la chaîne de valeur et surtout permettre à l’Europe de maîtriser la production de technologies critiques qui ne sont pas produites aujourd’hui sur notre sol », poursuit le fonctionnaire européen, en réponse tant à ceux qui reprochent au commissaire français de verser dans le dirigisme qu’aux lobbies comme Digital Europe qui demandent des investissements « orientés par le marché ».

    Le projet voulu par Thierry Breton couvre ainsi toute la chaîne, du soutien aux secteurs dans lesquels l’UE est déjà bien positionnée (construction des machines, recherche et innovation) à ceux dans lesquels elle a pris beaucoup de retard (conception et fabrication). Le volet commercial n’est pas en reste avec la possibilité de mettre en place des instruments coercitifs en cas de crise, et le développement de partenariats internationaux. Dernier levier : définir le degré d’ouverture des projets d’investissements, pour préserver l’intérêt général européen alors que des entreprises comme Intel prévoient de construire des infrastructures en Europe.

    Financements. Reste à savoir si cette proposition ambitieuse sortira telle quelle du collège des commissaires, où Margrethe Vestager est loin d’avoir dit son dernier mot. « L’Europe est plus grande que la France, lance un fonctionnaire européen. Il faudra trouver une solution qui puisse satisfaire tout le monde. Rappelons aussi qu’elle est vice-présidente exécutive et qu’elle gère le portefeuille de la concurrence. » Margrethe Vestager a ainsi obtenu que les aides d’Etat visées soient « sujettes à des garde-fous robustes (...) et que les bénéfices seront partagés largement et sans discrimination avec l’économie européenne ».

    Les réticences aux ambitions holistiques du commissaire vont par ailleurs bien au-delà de sa supérieure hiérarchique. « Atteindre l’indépendance est impossible vu la complexité des chaînes d’approvisionnement, estime par exemple l’eurodéputée macroniste Stéphanie Yon-Courtin. Il faut plutôt détecter ce sur quoi on a une vraie valeur ajoutée et pouvoir être dans l’adaptabilité en permanence, en développant des partenariats internationaux ».

    Pour convaincre, Thierry Breton devra surtout trouver des financements conséquents. « Cet acte n’aura de sens que s’il repose sur des investissements substantiels. On a déjà pris tellement de retard, notamment face à la Chine, que la question est pressante », estime Elvire Fabry. Seul un nouvel emprunt commun pour soutenir l’UE dans la course technologique, dont l’éventualité est souvent évoquée à Bruxelles, semble pouvoir permettre à l’UE de rivaliser. Le sujet sera sans doute évoqué lors du sommet sur le nouveau modèle de croissance européen convoqué les 10 et 11 mars par Emmanuel Macron.


  • La campagne présidentielle est l’occasion de fixer de nouvelles règles de gouvernance du numérique. Internet doit demeurer divers, porteur de communs, avec des espaces marchands et non marchands. Chacun est appelé à y devenir acteur et responsable.

    Le numérique est plus qu’un outil ou une économie, il est une prise sur le monde. Il est moteur et levier de très nombreuses et profondes transformations de notre société, qu’il s’agisse des droits, de la culture, de l’éducation, de la démocratie…

    Les transformations complexes qu’il induit, et auxquelles il participe créent des opportunités fortes, mais aussi des angoisses, des vulnérabilités. L’horizon positif d’ouverture et de recomposition démocratique qu’il portait s’est progressivement embrumé avec les anxiétés des nombreux laissés pour compte ou menacés par ces transformations.

     

    Donner de la place aux acteurs de la société civile

    Les dimensions anxiogènes et sécuritaires dominent souvent désormais les décisions collectives qui régulent le numérique. Les débats se polarisent, en oubliant le rôle et la place des acteurs de la société civile, dans leur diversité. On ne peut qu’observer l’effritement de nos libertés individuelles et collectives et les doutes de la société dans la capacité de gouvernance de ces technologies.

    Trop souvent, la régulation numérique se fait sans la société, ou sur des débats éloignés des pratiques. Trop souvent, elle crée l’exclusion des pratiques, plutôt que leur accompagnement.

    Nous, acteurs de cette société civile, ne pouvons pas nous en satisfaire.

    Ces prochains mois, à l’occasion de la campagne présidentielle, seront débattues les lignes directrices qui guideront un quinquennat critique pour ces questions. Nous pensons que les solutions à ces sujets complexes peuvent être trouvées avec la société…

     
     

     





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