• Fête de la musique : le métavers peut-il révolutionner les concerts ?

    Des start-up et des artistes souhaitent démocratiser les concerts dans le métavers, bouleversant de fait la pratique du live et son économie.

     

    La performance de Travis Scott, en avril 2020, sur la plateforme Fortnite, avait attiré plusieurs dizaines de millions de curieux.

    La performance de Travis Scott, en avril 2020, sur la plateforme Fortnite, avait attiré plusieurs dizaines de millions de curieux.

    Getty Images via AFP

     

    Avril 2020. Plusieurs millions de joueurs de Fortnite assistent à une série de concerts donnés par un avatar géant du rappeur américain Travis Scott. Les images font le tour du monde. Si, un an plus tôt, le DJ Marshmello avait lui aussi éprouvé la scène virtuelle du jeu préféré des ados, deux phénomènes donnent à cet instant précis un écho considérable à la performance de Travis Scott : une pandémie durant laquelle la majorité des concerts se sont arrêtés, et l'apparition d'un mot : "métavers", synonyme de "monde virtuel". Le "musicverse" était né. 

     

     

    Depuis, des artistes comme Twenty One Pilots et Lil Nas X ont imité avec succès leur camarade. Et les investissements s'accumulent, du label Warner Music, dorénavant propriétaire d'une parcelle sur The Sandbox, au leader du streaming, Spotify, qui a ouvert sa propre "île musicale" sur le jeu Roblox, début mai. Selon une récente étude du Snep, le Syndicat national de l'édition phonographique, près d'un quart des joueurs de jeux vidéo en ligne sont intéressés par les concerts sur ces plateformes. Et si demain, la Fête de la musique, dont la 40e édition se tient ce mardi 21 juin en France, avait lieu depuis ces contrées virtuelles ? 

    Louis Cacciuttolo y croit. L'entrepreneur a récemment levé 1,5 million d'euros avec son entreprise spécialisée dans la réalité virtuelle, VRrOOm, et ambitionne d'en lever 30 de plus au second semestre 2022. Son objectif : bâtir une plateforme française qui donnera aux créateurs les outils pour construire leurs univers accessibles en réalité virtuelle. Comme Roblox ou Fortnite, VRrOOm ne serait qu'un hébergeur, mais contrairement aux deux précédemment cités, entièrement consacré à la musique. "On veut être le YouTube du métavers", précise Louis Cacciuttolo. Jean-Michel Jarre, récemment interviewé par L'Express, est l'ambassadeur de la société. Il expérimente les premiers outils avec une certaine réussite : son live dans une cathédrale Notre-Dame de Paris entièrement numérisée, le 31 décembre 2020, aurait été visionné près de 75 millions de fois. 

     

    "Moins contraignant et moins discriminant"

    VRrOOm n'est pas la seule à s'être lancée. L'entreprise américaine Pixelynx, fondée par le célèbre DJ DeadMau5, développe actuellement des outils comparables. En France, une start-up, Stage11, investit le même terrain, avec une petite nuance. "En plus des outils, nous souhaitons aussi créer du contenu avec des artistes", indique son patron Jonathan Belolo, également à la tête du label indépendant Scorpio Music. Ce qui en ferait une sorte de producteur 3.0. L'homme égrène les avantages liés au métavers : "Le spectateur n'est plus obligé de se déplacer pour aller voir un concert - ce qui est moins contraignant et moins discriminant - et cela lui permettra aussi de vivre, voire de revivre quand il le souhaite une expérience privilégiée auprès d'un artiste, en se retrouvant, grâce à la technologie, en tête-à-tête avec lui", détaille-t-il. Le musicien, de son côté, "abaisse considérablement le coût d'un live", ajoute Louis Cacciuttolo. La location d'un Zénith s'élève bien souvent à plusieurs dizaines de milliers d'euros, sans compter les équipes techniques qu'il faut aussi rémunérer. "Sur le métavers, un musicien pourra bientôt créer sa scénographie en seulement quelques clics", y oppose le patron de VRrOOm. 

    En attendant, il n'y a rien de mal à essayer. "Sur Fortnite, Travis Scott a joué devant 27 millions de spectateurs pendant quelques minutes contre un chèque de 20 millions de dollars. Pour sa tournée physique AstroWorld, entre 2019 et 2020, son chiffre d'affaires est certes de 63 millions de dollars, mais c'est au prix de 57 dates, avec des concerts de 2h30 à chaque fois, et auxquels ont assisté, en cumulé, moins d'un million de spectateurs", relate l'entrepreneur. Sur le papier, les arguments du "musicverse" sont solides. Chez Stage11, le premier artiste de renom à se jeter à l'eau s'appelle David Guetta. L'univers du roi de l'électro est quant à lui attendu d'ici l'automne. Son avatar officiel a été présenté lors du salon VivaTech, qui s'est tenu au à Paris à la mi-juin. D'autres stars comme Snoop Dog, Akon et Ne-Yo seront de la partie. 

    Construire des communautés

    Reste toutefois à savoir si les spectateurs sont déjà prêts à payer, régulièrement, pour une expérience virtuelle. Jusqu'ici, la grande majorité des concerts ont été proposés gratuitement, sur des jeux vidéo. "La proposition de valeur n'est pas encore très intéressante", juge l'économiste spécialisé dans la culture Thomas Paris. Envers le réel, d'abord, mais aussi vis-à-vis du livestream, qui permet déjà de jouir de concerts à distance. "Le succès des shows sur Fortnite ou Roblox s'expliquent pour l'heure par la forte capacité de rétention des internautes sur ces plateformes de jeu. Le même phénomène pour des concerts de musique seuls reste à prouver." 

     

    En tout début d'année, Young Thug, David Guetta (déjà lui) et le duo EDM The Chainsmokers s'étaient relayés sur la plateforme de Meta - plutôt pensée pour la déambulation ou le travail - pour une série de concerts, finalement tous boudés par les fans. Deux raisons à cela : faute de matériel adéquat, les utilisateurs ne peuvent pas encore profiter d'une expérience immersive. Puis les mondes, non connectés entre eux, peinent à se montrer accueillants, en témoignent les premières images de l'univers concocté par Meta

    Les acteurs l'ont compris : le "musicverse" ne pourra pas se contenter d'être une simple plateforme de concert en ligne. Quand bien même celle-ci autoriserait toutes les folies artistiques. "Visuellement, vouloir à tout prix caser des aliens, des montagnes qui explosent ou que sais-je encore, n'a pas toujours un grand intérêt. Une mise en scène sobre, un artiste, seul, assis sur un tabouret et traversé par un peu de lumière, aura à mon sens tout autant sa place dans le métavers, souligne Jonathan Belolo. Ce qui est vraiment important, à mon sens, c'est surtout de réussir à lier, dans un même espace, la musique, mais aussi les fonctionnalisés d'un réseau social et du e-commerce. Permettre aux fans de pouvoir se retrouver avec leurs avatars personnalisés, leurs chaussures, leurs équipements, glanés ailleurs dans le métavers." En bref : leur identité.  


  • Un algorithme brouille les écoutes en temps réel

    Une intelligence artificielle a montré sa capacité à anticiper une conversation et à la camoufler instantanément des oreilles potentiellement indiscrètes de nos smartphones, assistants personnels et autres objets connectés.

    Par Laure Belot

    Publié le 14 juin 2022 à 18h00

     

     

     

    OLIVIER BONHOMME

    Il fut un temps où des fontaines, judicieusement placées dans des palais ou des jardins, permettaient aux conversations d’être tenues à l’abri des oreilles indiscrètes. Notre monde connecté demande encore plus de précautions. Avez-vous déjà reçu sur un de vos objets connectés une publicité sur le sujet précis dont vous veniez de parler ? Si c’est le cas, vous êtes-vous alors demandé si votre téléphone, assistant personnel, montre intelligente ou ordinateur, situé à proximité, aurait pu vous « espionner » à votre insu ?

    C’est peut-être encore un scénario fiction, mais nous sommes désormais entourés d’une multitude de microphones dont les enregistrements peuvent être analysés par des algorithmes de machine learning. Puisque ces programmes d’intelligence artificielle (IA) apprennent à « comprendre » les voix, technologiquement, cet espionnage est possible. « Un nombre très important de données personnelles sont déjà utilisées par l’apprentissage machine. Il faut, d’une certaine façon, rendre le pouvoir à l’utilisateur », explique la chercheuse franco-américaine de 24 ans Mia Chiquier. Avec deux autres spécialistes en IA de l’université de Columbia (Etats-Unis), Chengzhi Mao et Carl Vondrick, la scientifique annonce avoir trouvé une parade : un camouflage de la voix, quasi inaudible et en temps réel, qui empêche, dans « 80 % des cas », l’efficacité d’un espionnage, « même si rien n’est connu de la position de l’éventuel micro dans l’espace », explique-t-elle. Les résultats de ces travaux intitulés « Real-Time Neural Voice Camouflage » ont été publiés sur ArXiv, le 16 février, et présentés à la prestigieuse International Conference on Learning Representations (ICLR), le 25 avril.

    Depuis 2018, plusieurs travaux se sont déjà intéressés au camouflage de la voix. « Il s’agit, à chaque fois, d’un algorithme qui va essayer d’en tromper un autre en rajoutant un bruit intelligent, que la profession appelle adversarial attack », explique Mia Chiquier. Mais, jusqu’à présent, « les algorithmes qui attaquent ceux dit “d’ASR” [automative speach recognition, qui traduisent la voix en texte] avaient besoin d’écouter toute la phrase d’un interlocuteur pour l’analyser et ensuite la brouiller ». Logiquement, ces logiciels ne pouvaient pas être efficaces dans le cas d’un usage en temps réel, puisque leur réponse, le bruit intelligent, arrivait trop tard.

    Attaques prédictives

    Pour un camouflage en direct, il fallait que les chercheurs imaginent une conversation avant qu’elle n’ait eu lieu… Un défi qu’ils ont relevé en développant une approche inédite : la création d’« attaques prédictives ». Leur logiciel de machine learning (aussi baptisé NVC), qui utilise des réseaux de neurones profonds, n’a besoin que de deux secondes de la voix humaine pour « comprendre » celle-ci puis prédire les possibles sons qui vont suivre. De façon quasi instantanée, NVC prévoit alors une attaque qui brouillera ces possibles sons et perturbera les modèles de reconnaissance automatique de la parole qui sont entraînés à transcrire nos paroles. Et à, peut-être, les espionner.

     

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