Ils sont presque incontournables sur nos plages. Les charrettes de chouchous beignets (que l’on a tôt fait de regretter à la rentrée), les bambins scotchés à leurs châteaux de sable, mais aussi les seins nus. Si les deux premiers squattent toujours notre littoral, le monokini, lui, se fait de plus en plus discret. Acte symbolique d’émancipation des femmes dans les années 60-70, décrocher le haut était devenu quasi banal au début des années 90. Objectif principal: éviter les redoutées traces de bronzage. Depuis, la pratique du topless perd peu à peu du terrain, notamment chez les jeunes générations. En trente ans, le nombre d’adeptes a diminué de moitié. Selon une étude publiée par l’Ifop en août 2017, les Françaises de moins de 50 ans ayant pratiqué le topless n’étaient que 22% en 2017 contre 43% en 1984. Le signe d’un retour de la pudeur ? Pas forcément. Pour François Kraus, directeur du pôle actualité à l’Ifop, l’enquête montre surtout que le règne du «culte de l’apparence»alimente la «crainte de ne pas répondre aux canons de beauté en vogue». Et ce, jusque sous le parasol. Janine Mossuz-Lavau, directrice de recherches au Cévipof (CNRS, Sciences-Po) (1) voit dans ce constat la mutation d’un symbole. 

Comment expliquez-vous la diminution de la pratique du topless?

Il y a plusieurs raisons. Pour les femmes des années 60-70 et encore après, aller à la plage seins nus était une façon de montrer qu’elles étaient libérées du patriarcat, des contraintes sexuelles. Pour les générations actuelles, les femmes se considèrent comme suffisamment libérées pour ne plus avoir à le prouver. Ca a été intégré dans le fonctionnement habituel sans qu’il faille en faire une démonstration. D’ailleurs j’ai constaté dans mes enquêtes, mais aussi en observant les gens sur les plages et aux bords de piscines, que les adolescentes n’aiment pas tellement montrer leurs corps. Elles portent parfois plus souvent que les générations plus âgées des maillots une pièce. La mode tend plutôt vers ce genre de choses. 

Les risques liés à l’exposition au soleil sont-ils aussi un frein pour les femmes?

Des raisons médicales sont bien sûr évoquées. Les dermatologues ont beaucoup alerté sur les risques encourus, notamment de cancers de la peau, sur cette zone particulièrement fragile. Ils ont aussi mis en garde sur les conséquences esthétiques de cette exposition. La peau peut se rider plus vite, avoir des taches. En outre, les pionnières en la matière ont vieilli et ont parfois abandonné le topless car elles ne sont plus au top de leur forme physique. Et même si cela n’influe pas plus que les autres raisons que je viens d’évoquer, certaines femmes n’osent pas aller à la plage seins nus car elles sont gênées par le regard des hommes et craignent d’être importunées. Mais cela a toujours été le cas, dès les années 60-70. 

Ce qui était perçu comme banal à une époque est-il redevenu un acte militant pour celles qui le pratiquent encore?

Exposer ses seins est sans doute plus remarqué que quand plus de femmes le faisaient. Mais celles qui le pratiquent sont surtout des habituées trouvant agréable de sentir la caresse du soleil sur leur peau. C’est plus une question de plaisir. Elles ne voient pas pourquoi elles y renonceraient parce que dans quelques piscines ça devient interdit ou que ce n’est plus à la mode. Au-delà des différences générationnelles, il faut également noter qu’il existe une plus grande réticence à pratiquer le topless dans les milieux populaires que chez les femmes dites éduquées. On constate dans les enquêtes que plus les femmes ont un niveau d’études élevé, plus elles ont des partenaires sexuels, se sentent légitimes pour se libérer et vont donc aller à la plage seins nus. Dans les milieux populaires, la morale quotidienne est plus stricte sur ce qu’on peut montrer de soi. 

Aujourd’hui, les smartphones sont omniprésents sur la plage. N’existe-t-il pas également une crainte de se retrouver à son insu sur un cliché? 

Ça peut tout à fait jouer surtout chez les très jeunes. En effet, la plupart du temps c’est entre eux que circulent des photos volées, notamment des clichés pouvant être considérés comme compromettants. Les jeunes filles se méfient certainement plus de ce genre de choses. Elles n’ont pas envie qu’une photo d’elles seins nus circule. Les adultes peuvent aussi ressentir cette crainte, mais moins car la majorité des drames ayant eu lieu dans la période récente concernait plutôt les jeunes.

(1) Auteure de la Vie sexuelle en France, à paraître le 13 septembre aux éditions La Martinière. 

Marlène Thomas