• Violence des jeunes : « Le rôle émancipateur et de socialisation de l’éducation populaire n’existe plus »

     

    La chercheuse Sigolène Couchot-Schiex, professeure à Cergy-Paris-Université, spécialiste des questions de socialisation de la jeunesse, revient sur la violence entre jeunes qui fait régulièrement la une de l’actualité. Elle pointe en particulier la raréfaction des professionnels pour prévenir, encadrer, aider victimes et auteurs.

    Une adolescente de 13 ans qui meurt à la suite du viol dont elle a été victime, deux jeunes hommes de 15 ans, l’un battu à mort, l’autre poignardé… Sans qu’un lien existe entre ces affaires tragiques, l’apparente multiplication de violences extrêmes, commises dans ou autour des établissements scolaires, ne saurait rester sans réponses.

    Celles-ci ne sauraient se cantonner à des appels à la sanction et à l’ordre, explique la chercheuse et enseignante Sigolène Couchot-Schiex, en rappelant le malaise qui croît au sein de la jeunesse, dans une société elle-même de plus en plus violente.

    Peut-on dire que les jeunes sont plus violents aujourd’hui ?

    Je ne pense pas, mais le fait de passer à l’acte doit nous interroger. Dès 2015, les infirmières scolaires tiraient la sonnette d’alarme et s’inquiétaient de l’inappétence des jeunes pour la vie. Il faut se demander si nous ne sommes pas dans une nouvelle phase où ce mal-être prend une autre forme, contre soi-même et contre les autres. La fureur du bruit de la société s’amplifie ces dernières années. Et les jeunes vivent au milieu de cette société.

     

     


  • Depuis début octobre, le ministre de l'Intérieur a lancé des opérations contre le trafic de drogue.
    Jean-Christophe Milhet / Hans Lucas

    Opérations "place nette" contre le trafic de stupéfiants : "Ce sera difficilement tenable à long terme"

    Opérations "place nette" contre le trafic de stupéfiants : "Ce sera difficilement tenable à long terme"

    Devant la commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France, Gérald Darmanin est venu défendre sa stratégie de « guerre psychologique » contre le narco banditisme centrée sur les opérations « place nette ». Pour Christophe Korell, ancien enquêteur de la Police Judiciaire, détaché au ministère de la Justice, qui travaille à un ouvrage sur la criminalité organisée en France, la lutte contre la drogue ne peut pas se contenter des seules actions de terrain mais passe aussi par des enquêtes au long cours.

    Marianne : Lors de son audition devant la commission d’enquête contre le trafic de drogue, Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, pour défendre le bien-fondé des « opérations place nette » a semblé pointer du doigt la tentation pour les enquêteurs et les magistrats d’attendre d’avoir des enquêtes judiciaires « parfaites » pour agir, ce qui serait selon lui, la cause de « l’inefficacité publique ». Que vous inspire cette sortie ?

    Christophe Korell : Je n’interprète pas sa déclaration dans ce sens. Je pense qu’il note surtout qu'on ne peut pas juste se contenter de faire des opérations au long cours. Il cite cet exemple, lorsqu’il était élu local et qu’il demandait au commissaire d’agir sur un point de deal et qu'il ne se passait rien pendant plusieurs mois. Il y a un temps où il faut apporter des réponses aux habitants, aux problématiques d'ordre public.

    Pour résumer, il faut agir à tous les étages de la fusée. C'est-à-dire travailler au long cours, mais aussi désorganiser les trafics locaux, les points deal. C’est aussi un moyen de déranger les trafiquants, de les pousser à commettre des erreurs sous la pression. Des erreurs qui potentiellement aideront justement les enquêteurs qui travaillent sur des investigations plus longues et complexes. Il peut y avoir une forme de complémentarité.

    En multipliant les opérations « place nette », très gourmande en effectif, n'y a-t-il pas un risque de justement dépouiller les services d'enquête qui travaillent sur des dossiers plus complexes ?

    C’est une vraie bonne question. Je n'ai pas forcément la réponse, il est trop tôt pour tirer un constat clair mais c’est effectivement un risque. Ce sont les magistrats qui sauront nous dire, d'ici quelques mois, du fait du rendu de leurs dossiers, s'ils ont observé des différences, depuis la réforme, ou pas. Ce qui me gêne plus, ce sont ses réflexions sur les magistrats. Notamment lorsqu’il dit « ce sont les juges qui commandent les enquêtes ».

    Il donne l’impression que les enquêtes ne sont que du fait des magistrats, qu'à leur seule initiative. Les magistrats, qu'ils soient du siège ou du Parquet travaillent avec la matière qui vient des services d'enquête. Ce ne sont pas les magistrats qui lancent des enquêtes mais bien les policiers, par le biais d'informations qu'ils récupèrent, notamment de leurs sources. Donc les magistrats commandent les enquêtes, oui. Mais à partir de ce qui leur est donné par les enquêteurs.

    Sur cette question de l’équilibre entre opérations de voie publique et enquêtes au long cours, est-ce qu'on arrive véritablement à déstabiliser des réseaux par des opérations de voie publique ?

    À mon sens, c'est la combinaison des deux qui permet d’atteindre cet objectif. On raisonne peut-être un peu trop sous un prisme uniquement judiciaire, en se disant combien d'interpellations ? Combien de déférés ? Combien sont en prison et pour combien de temps ? La problématique de voie publique et d'ordre public est également essentielle.

    Les opérations place nette, comme le dit le ministre de l’Intérieur, ce sont aussi des opérations de coms, tout autant vis-à-vis des habitants des quartiers qui subissent le trafic de drogue que des opérations visant les petits dealers locaux qui se retrouvent dans une forme d’insécurité, avec la volonté de les faire déménager, qu'ils ne soient plus une crispation quotidienne pour les habitants. Quitte à ce que ces dealers utilisent des messageries cryptées comme Telegram pour se livrer à des livraisons en scooter ou en voiture.

    Après est-ce que c'est efficace ? C'est trop tôt en fait pour le dire. Il faudra faire le point dans un an ou deux ans pour en voir le résultat notamment sur le nombre de point de deal persistant. Après, si on parle d'efficacité, il y a aussi des choses à faire évoluer en interne. Il y a un élément qui m’a interpellé pendant l’audition lorsque le ministre explique que lors d’une réunion à Paris pour préparer l’opération place nette à Marseille, la direction de l’Office anti-stupéfiants (Ofast) n'était pas au courant.

    Qu'est-ce que ça traduit en fait ? Que l'Ofast de Marseille n'a d'Ofast que le nom, parce que la direction nationale de l’office à Nanterre n'a pas la main sur les effectifs qui sont à Marseille… Les effectifs qui sont à Marseille ne rendent compte qu’à leur hiérarchie locale. C’est un vrai problème organisationnel.

    Est-ce qu’il sera vraiment possible, comme le promet le ministre de l’Intérieur, de tenir à effectif constant le rythme des opérations place nette sans grignoter sur la capacité d'investigation ? Il manque aujourd'hui environ 5 000 officiers de Police Judiciaire (OPJ) comme l’a rappelé Gérald Darmanin…

    Ça me paraît difficilement tenable sur le long terme. Chaque opération c'est évidemment du travail de terrain mais c'est aussi du travail d'investigation qui permet de ne pas taper au hasard.

    Et à côté des opérations place nette, il y a les autres priorités à honorer comme les affaires de violences intrafamiliales, les violences aux personnes, les cambriolages etc… Cette question des effectifs est encore pire si on se projette dans la perspective des JO. Il y a de vraies inquiétudes sur les capacités à assurer toutes les missions confiées à la Police. Et c'est sans parler des millions de procédures qui dorment dans les commissariats. A quel moment on écluse ces stocks ? Le sujet, c'est comment on arrive à intéresser des policiers aux métiers de l'investigation ?

    Qu'est-ce qu'on fait pour redonner de l'attrait, et attirer les meilleurs, leur donner envie de s'investi r? Et plus particulièrement dans les services qui traitent du financier ! Il y a des enjeux énormes. J'ai pu échanger avec certains magistrats, notamment en province, qui disent ne pas arriver à saisir des services spécialisés qui n'ont que trop peu de moyens pour faire face à la demande. C'est aussi un vrai sujet, que le ministre a éludé pendant la commission.