Agriculture et alimentation : Bordeaux Métropole lance un vaste réseau de production et transformation durables
La collectivité a fédéré, autour de Récol’Terra, 44 partenaires pour structurer des filières avec mutualisation, circuits courts et qualité au menu. Une dizaine de fermes expérimentales sont notamment à l’étude
La salle de dégustation du domaine Pestoury, à Yvrac, était trop petite ce vendredi 18 octobre pour contenir la cinquantaine de personnes venues pour le lancement de Récol’Terra, le projet alimentaire territorial XXL initié par Bordeaux Métropole, ses 44 partenaires institutionnels et associatifs, et la Banque des territoires, soutien financier du projet. La famille, installée depuis cinq générations sur 38 hectares dont 90 % viticoles (une dizaine de produits, du jus de raisin au Côtes de Bordeaux), convertie au bio depuis 2020, s’est diversifiée depuis quelques années avec 5 000 m² de maraîchage et depuis plus longtemps avec une aire de camping-cars très prisés des touristes étrangers. Un exemple d’adaptation et de qualité pour les partenaires de Récol’Terra.
Les acteurs du projet Récol’Terra se sont réunis à Yvrac.
Y. D.
« Ce projet nous séduit car il est pensé à l’échelle d’un territoire, qu’il prévoit de la mutualisation des moyens et de la logistique dans une démarche bio », résume le couple Pestoury dont la fille Marie (26 ans) vient de rejoindre l’exploitation où Bordeaux Métropole et la Banque des territoires ont donc signé une première convention de financement pour Récol’Terra. Objectif : reterritorialiser la production, transformation et consommation agricole et alimentaire, en structurant des filières locales. Dans la dynamique de ses contrats des nouveaux équilibres de coopération territoriale (Conect), la Métropole bordelaise a fédéré 44 partenaires, de la collectivité locale à l’association de promotion du bio, et répondu avec succès à un appel à manifestation d’intérêt (AMI) dans le cadre du programme France 2030.
Isabelle, Marie et Bertrand Pestoury, 4e et 5e générations sur le domaine viticole d’Yvrac.
Y. D.
Installer des fermes-tests
« Nous avons une problématique commune », explique Patrick Papadato, vice-président en charge de la stratégie nature, biodiversité et résilience alimentaire à la Métropole. « Des problèmes de foncier, de transmission et de production locale. Il s’agit de mettre en réseau les agriculteurs existants, de mutualiser des outils pour changer de modèle au profit des circuits courts et de la qualité. » Récol’Terra se veut d’une envergure régionale, s’inspirant des initiatives existantes (réseau Alimen’terre du Département par exemple), mais avec l’ambition d’installer un écosystème de productions locales vers la consommation locale. Sous ce vocable se dessine un premier périmètre girondin, extensible à la région en fonction des filières et des acteurs investis.
« Des projets alimentaires de territoire déjà précurseurs se multiplient en Gironde et Récol’Terra se veut un accélérateur de ces démarches »
L’un des points prégnants du projet est l’installation d’une dizaine de fermes agroécologiques expérimentales dans l’agglomération et ses abords, à l’échelle du Schéma de cohérence territoriale (1) de l’aire métropolitaine. Friches, parcelles de vignes arrachées, secteurs en zone inondable, sont les pistes d’études pour la dizaine d’implantations envisagées. En amont, une phase de dix-huit mois pour étudier la faisabilité juridique, commerciale, économique et environnementale du projet. Parmi les nombreux partenaires engagés, on trouve des structures aussi différentes que l’Université de Bordeaux, le Pôle territorial Cœur Entre-Deux-Mers, le Marché d’intérêt national (MIN) de Brienne, le transformateur bordelais privé Vivants, le labo lormontais de cuisine partagé Coloc' de chefs ou la coopérative Manger bio.
Brice Paquet (directeur régional adjoint de la Banque des territoires) et Christine Bost (présidente de Bordeaux Métropole) ce 18 octobre à Yvrac.
Y. D.
L’enjeu logistique
« Un projet coopératif lié aux évolutions de l’environnement, à la situation des agriculteurs et à la perspective de nouveaux et vertueux modes de consommation », déclarait ce 18 octobre Christine Bost, présidente de Bordeaux Métropole. Familier du domaine de Pestoury, le président du Pôle Cœur Entre-Deux-Mers (90 communes à l’est de Bordeaux) Alain Mauger confirmait « les problématiques communes que sont l’installation et le foncier, la logistique du dernier mais aussi du premier kilomètre, ainsi que le besoin d’outils de transformation ». Jean-Luc Gleyze, président d’un Département chef d’orchestre incontournable au rayon agricole, résumait l’enjeu en prônant « l’assemblage local du Rubik’s Cube de l’agriculture ».
Courroie de transmission financière de France Relance 2030, la Banque des territoires (filiale de la Caisse des dépôts) va subventionner les études à hauteur de 300 000 euros (même somme pour la Métropole), et son directeur régional adjoint Brice Paquet évoquait 3,5 millions d’euros de l’État pour la phase opérationnelle. « Récol’Terra peut être un fantastique démonstrateur des transitions. »
« Des projets alimentaires de territoire déjà précurseurs se multiplient en Gironde et Récol’Terra se veut un accélérateur de ces démarches », synthétisait aussi Patrick Papadato. « On espère ainsi agrandir la famille et proposer à la restauration collective, mais aussi privée ou celles des particuliers, une alimentation de proximité, saine et respectueuse de l’environnement. »
Le temps presse
On l’aura compris, ce n’est pas pour demain mais l’élan est là. Reste à savoir si l’atout de 45 partenaires aux compétences nombreuses et croisées ne va pas se transformer en usine à gaz improductive. « Les projets alimentaires de territoire, aussi vertueux et nécessaires soient-ils, prennent beaucoup de temps en raison de l’ingénierie juridique, administrative et environnementale, justifiée souvent mais chronophage », confie un acteur du dossier.
(1) Ce schéma rassemble les communautés de communes de Médoc Estuaire, Rives de la Laurence, Coteaux bordelais, Créonnais, Portes de l’Entre-Deux-Mers, Montesquieu, Jalles Eau-Bourde et Bordeaux Métropole.
Cédric Bernard dans le réfrigérateur de sa légumerie CP4G.
Y. D.
« Un réel manque de producteurs »
C’est un outil assez rare sur le territoire et un exemple de structures qui pourraient se développer et se multiplier via Récol’Terra : dans la zone d’activité de la Raffette à Saint-Loubès, les neuf employés de GP4G transforment depuis 2018 des légumes en 4e gamme (prêts à cuire ou consommer), repérés par le groupe d’achats Adarce (Achats de denrées alimentaires pour les restaurants de collectivités et d’entreprises) ou le syndicat intercommunal (Sivu) des cantines de Bordeaux et Mérignac. Au total, 400 tonnes transitent à l’année par le labo que dirigent Cédric Bernard et Christophe Viu. « Approvisionnement et logistique sont les enjeux majeurs », confirme Cédric Bernard. « Il y a un réel manque de producteurs. Ce type de projet peut susciter des vocations agricoles pour une nourriture plus saine et plus locale. »