Raphaël Glucksmann à « Sud Ouest » : « La France crève de l’absence de dialogue »
Samedi et dimanche, Raphaël Glucksmann, le coprésident de Place publique, fera sa rentrée en Gironde. Il l’affirme : le NFP était un moment « d’unité d’action contre le RN », pas celui « d’une vision commune du monde ». À La Réole, l’eurodéputé lancera les travaux d’un futur programme « pour la France »
Michel Barnier a donc annoncé des hausses d’impôts ciblées pour les grandes entreprises et les contribuables les plus fortunés. Vous approuvez ?
Je ne vais pas désapprouver ce que je prône depuis des années. C’est une nécessité que les plus riches d’entre nous et les entreprises qui réalisent des superprofits contribuent à l’effort collectif pour répondre à la gravité de la situation budgétaire, à l’explosion des inégalités et à ces années d’injustice fiscale qui sont la marque des quinquennats Macron. Le problème, c’est que ça ne suffit pas. Le reste du discours est extrêmement flou, car ce Premier ministre est tenu de toutes parts. Par les macronistes, par son propre parti, LR, et par le Rassemblement national sans lequel le gouvernement s’effondre.
Deux tiers de l’effort de redressement viendront d’une réduction de la dépense publique. Cela vous inquiète-t-il ?
Mais ils vont tailler où ? Dans l’éducation, la santé, la défense, la sécurité ? Ce qui s’annonce, en fait, c’est une cure d’austérité.
« Face au risque du RN au pouvoir, il a fallu faire des choses douloureuses, mais nécessaires »
Quel est votre regard sur ce gouvernement Barnier, avec ces personnalités de la droite conservatrice ?
Je vais vous donner celui de mes collègues au Parlement européen : ils ne comprennent pas comment on a pu passer d’un front républicain à ce gouvernement qui est le plus à droite depuis l’élection d’Emmanuel Macron. Certes, le 7 juillet, aucune formation ne l’a emporté. Mais il y a un vainqueur : le front républicain. Or, ce gouvernement est dirigé par le parti qui s’y est opposé, LR, et il est dépendant du parti contre lequel il s’est formé, le RN. Nous sommes là face à l’inversion des résultats du 7 juillet. C’est très grave. Dès lors, comment reproduire un tel sursaut de mobilisation ? Le premier responsable, c’est Emmanuel Macron, mais l’ensemble de la classe politique doit aussi s’interroger. Ce fiasco, c’est une coproduction des différents partis, qui ne se sont pas montrés à la hauteur du geste difficile des Français.
Quel bilan faites-vous de l’expérience du Nouveau Front populaire (NFP), dans laquelle vous vous êtes engagé sur la pointe des pieds, sinon à reculons ?
Je m’y suis engagé sans tambour, ni trompette. Mais je me suis engagé pour contrer le risque de victoire du RN. Face à cela, il fallait faire des choses qui, oui, étaient douloureuses, mais nécessaires. Par contre, le 7 juillet à 20 h 01, il aurait fallu tendre la main et mettre sur la table nos priorités pour gouverner : hausse du smic, retour de l’ISF, les retraites, transition écologique… Mais à 20 h 02, Jean-Luc Mélenchon, en déclarant que le NFP n’appliquerait « que son programme », a fait l’exact opposé. Et les appareils politiques lui ont emboîté le pas, de peur d’être accusé de trahison par l’appareil mélenchoniste. C’est de cette peur qu’il faut s’émanciper. Ça fait deux fois de suite que les Français élisent une Assemblée sans majorité absolue. Nous devons donc changer de culture politique, apprendre à construire des coalitions.
« Ces oppositions profondes que l’on a assumées avec LFI aux européennes, on va continuer à les assumer »
Aux européennes, vous n’avez cessé de rappeler tout ce qui vous sépare de LFI. En ralliant le NFP, avez-vous eu le sentiment de vous renier, de trahir vos électeurs ?
Je n’ai absolument pas de sentiment de trahison. En revanche, je comprends les doutes, je les ai partagés. Le RN pouvait avoir le pouvoir. J’ai hiérarchisé les périls. Ce moment, c’était une unité d’action contre l’extrême droite, ce n’était pas celui d’une vision commune du monde. Ces oppositions profondes que l’on a assumées avec LFI aux européennes, on va continuer à les assumer.
Justement, vous qui défendez la social-démocratie, quelle en est votre définition ?
Je ne prône pas l’accompagnement de la mondialisation. La social-démocratie, c’est une transformation sociale dans le respect de la démocratie. C’est une méthode qui s’émancipe du robespierrisme et du jupiterisme. C’est une méthode fondée sur le dialogue pour que les transformations se fassent en accord avec la société. La France crève de cette absence de dialogue.
Après les législatives, une option social-démocrate s’est pourtant dessinée pour Matignon, avec Bernard Cazeneuve. Pourquoi ne pas l’avoir soutenu ?
Le 7 juillet au soir, j’ai dit qu’il fallait développer une coalition, c’était la réponse démocratique. Ensuite, je n’ai pas voulu commenter chaque étape d’un processus qui, dès le départ, était vicié puisque c’était un face-à-face entre un Président et des partis qui faisaient un casting. D’autres noms sont sortis : Laurence Tubiana était un choix excellent. Mais ni Macron, ni les quatre partis de gauche n’ont voulu de ce processus de coalition. Il n’y avait aucune chance que ça fonctionne.
Dès lors, comment comptez-vous faire vivre vos idées ?
Les Insoumis ont développé leur vision du monde, ils l’assument. Le problème, ce n’est pas eux, c’est le reste de la gauche. Qui est-elle ? Savons-nous répondre à cette question de manière claire et convaincante ? On va passer les prochains mois à développer un projet complètement indépendant de LFI, un projet cohérent pour la France. La question, c’est « qui sommes-nous ? ». Il faut procéder par étapes, et la première, c’est celle qui doit nous conduire à produire une offre politique claire et enthousiasmante dans un an.
« Un projet, ce n’est pas des punchlines sur les plateaux télé »
Vous ne voyez donc pas le gouvernement Barnier aller au-delà ?
Ce que je sais, c’est qu’Emmanuel Macron ne peut pas faire de nouvelle dissolution avant juin-juillet 2025. Après, il peut y avoir une nouvelle échéance. Mais nous n’aurons pas le droit d’être pris de court. Qu’on l’ait été le 9 juin quand il a dissous l’Assemblée, on peut le comprendre. Désormais, ce n’est plus possible. C’est ce travail qu’on va lancer avec Place publique.
Pour mettre le cap vers 2027 ?
Aux européennes, je n’ai parlé que d’Europe. Maintenant, développons le projet car, je l’ai dit, on ne sait pas ce qu’il peut se passer avant. On est dans une période pleine d’incertitude.
Ce week-end, à La Réole, sont annoncés Carole Delga, Anne Hidalgo, Yannick Jadot, Cécile Duflot… Quel sera le message ?
Il y a un espace pour une gauche sociale, démocrate, écologique, humaniste et proeuropéenne. Il faut le construire, y travailler. Et ce travail, ce n’est pas des punchlines sur les plateaux télé.