Elle en a fait un hashtag. #justicepourpolin #justiciaparapolin. Car Paulina, jeune Chilienne qui travaille actuellement sur une plateforme numérique à la promotion des petits producteurs de vin pratiquant l’agroécologie, est rongée par un sentiment d’injustice.
Le 2 septembre 2024, sous le pseudonyme de Polin, elle est sortie du silence avec une courte vidéo publiée en espagnol sur son compte Instagram, puis refaite en français et relayée par l’association Paye ton pinard. À visage découvert, face caméra, elle y dénonce un viol qu’elle aurait subi en 2016 alors qu’elle était étudiante et qu’elle était en stage dans un château du Médoc.
« C’est très difficile pour les femmes de dénoncer des violences sexistes et sexuelles dans leur milieu »
Elle accuse un employé contre lequel elle a déposé plainte au lendemain des faits. Elle a été vue par le Centre d’accueil en urgences de victimes d’agression, est sortie de l’hôpital avec un suivi psychologique. La jeune femme explique avoir été confrontée à son agresseur et avoir entendu ses aveux. Les gendarmes l’auraient rassurée sur les suites de la procédure.
L’agresseur jamais inquiété
Depuis, plus rien. Ou presque. Titulaire d’une bourse qui lui a permis de venir étudier en France, Polin a dû rentrer au Chili. Elle ne maîtrise évidemment pas le vocabulaire juridique français, et la barrière de la langue n’a pas aidé. Dans sa vidéo, elle explique à la fois qu’il y a eu un classement sans suite, puis que le procès a eu lieu en pleine pandémie et qu’elle n’a pu s’y rendre. La conclusion qu’elle en tire, c’est que le viticulteur, qui travaillerait toujours dans le Médoc, n’a jamais été inquiété.
« Vu toutes les preuves réunies, c’est incompréhensible », soupire Isabelle Perraud, la fondatrice et porte-parole de Paye ton pinard. « Quelqu’un lui a dit de prendre contact avec moi. Nous avons longuement parlé. Elle est démunie et souffre d’un gros traumatisme. Elle veut relancer cette affaire. Paye ton pinard s’est engagée à l’aider. Nous allons lui trouver une avocate. »
« C’est très courageux de sa part de témoigner en montrant son visage. Beaucoup le font anonymement par crainte des représailles. C’est très difficile pour les femmes de dénoncer des violences sexistes et sexuelles dans leur milieu. » La quinquagénaire en sait quelque chose. Son association vient d’être jugée et condamnée pour diffamation après avoir relayé des accusations contre un viticulteur.
Difficilement joignable
« Polin a fait tout ce qu’il fallait, mais elle a dû repartir dans son pays à la fin du stage », résume Isabelle Ferraud. « Elle ne s’est sentie soutenue ni par son école qui encadrait son stage, ni par les domaines, même s’ils ont donné l’identité de l’homme, et encore moins par la justice. »
« Sud Ouest » a retrouvé la trace du dossier. Le parquet de Bordeaux confirme qu’il y a eu une enquête, que l’agresseur présumé a été placé en garde à vue et qu’une information judiciaire a bien été ouverte. Il indique encore qu’il y a bien eu un non-lieu, c’est-à-dire une décision par laquelle le juge d’instruction déclare qu’il n’y a pas lieu de poursuivre en justice, le 5 mai 2023.
Ce n’est pas à proprement parler le déni de justice dont se plaint Polin qui, depuis la diffusion de sa vidéo, ne veut plus s’exprimer. Car le dossier aurait pu connaître un autre sort si la jeune femme ou son avocate d’alors avaient été joignables pour des expertises et investigations complémentaires.
Le parquet avait en effet requis la mise en examen de l’auteur présumé du viol, alors placé sous le statut de témoin assisté, estimant avoir des charges suffisantes. Mais l’absence de réponse de la victime et de son avocate et le point de vue divergent du juge d’instruction en ont décidé autrement.
Paye ton pinard
Une remarque de plus. De trop. Anodine et habituelle, c’est bien là le problème. Un jour, Isabelle Perraud, viticultrice dans le Beaujolais, est restée sidérée par les propos graveleux d’un confrère qui s’est cru drôle et « autorisé » à lui parler ainsi. « C’est usant d’être constamment ramenée au statut de femme », soupire la quinquagénaire. « Malgré les diplômes, l’expérience, le savoir-faire, la femme n’est pas considérée comme une professionnelle du vin. La légitimité dans ce domaine est réservée aux hommes. La femme est tout au plus bonne à jouer à la marchande, à essuyer des commentaires sexistes ou faire l’objet d’atteintes sexuelles qui, en plus, ne sont pas considérées comme telles. Toute l’énergie qu’on dépense à lutter contre ça, c’est usant, épuisant. » Isabelle Perraud est désormais connue pour ses positions féministes et militantes dans le milieu du vin. Des femmes se confient à elle. En septembre 2020, elle a créé un compte Instagram « Paye ton pinard », sorte de #MeToo du monde viticole, devenu association en 2022.