« On a fini ici, au milieu des bois » : qu’est devenu le bidonville du Parc des expositions de Bordeaux ?
Après l’expulsion du mois d’août, certaines familles ont trouvé refuge au milieu de nulle part, entre Mérignac et Saint-Médard-en-Jalles. Une migration forcée qui a mis à mal le suivi social et les projets de scolarisation
On ne les voit plus depuis le stade Matmut, des abords duquel ils ont été expulsés en mars. Ni depuis le Parc des expositions de Bordeaux-Lac, du voisinage duquel ils ont été évacués en août. Mais ils sont toujours là, dans la métropole, au bout d’un chemin défoncé, au milieu des bois, à la frontière de Mérignac et Saint-Médard-en-Jalles, où ils ont trouvé refuge. Loin des regards, en plein nulle part.
Depuis un mois, une trentaine de familles – et autant d’enfants – vivent ici. Ces Roms de Roumanie font partie d’un groupe qui ère dans l’agglomération, d’expulsion en expulsion, depuis dix ans pour certains. Ce jeudi 7 novembre au soir, la journée de travail est terminée – beaucoup travaillent dans la vigne, d’autres dans le bâtiment.
Des cercles se forment autour de foyers. Ici, on se chauffe autour d’une porte contreplaquée en feu. Plus loin, un brasier de gaines électriques crache des flammes multicolores – le cuivre se revend 6 euros le kilo chez les ferrailleurs et fournit un revenu d’appoint. Le feu couve aussi dans les conversations, où il est encore question du « scandale » de l’expulsion d’août.
Colère
« C’était brutal. On a dû sortir sans nos caravanes, sans nos voitures, qui ont été fracassées avec les tractopelles. Nous n’avons même pas pu récupérer nos papiers. Tout ça m’a coûté 1 000 euros. Qui va nous dédommager pour ça ? » s’emporte Vasil. Les fois précédentes, les familles avaient été prévenues à l’avance et avaient décampé avant l’arrivée des forces de l’ordre. Le 22 août, l’évacuation a pris tout le monde de cours, l’ordonnance d’expulsion ayant fait l’objet d’un appel. De nombreux occupants étaient absents du site et ont perdu ce qu’ils y avaient laissé. « Ils ont même cassé l’église », s’indigne Ion.
« C’était brutal. On a dû sortir sans nos caravanes, sans nos voitures, qui ont été fracassées par des tractopelles. Nous n’avons même pas pu récupérer nos papiers »
La colère et la précipitation ont mis à mal le lien de confiance, interrompu le suivi social (médiateurs, associations) et avorté les projets de scolarisation. « Pas mal de choses avaient été mises en place. Mais ceux des enfants qui allaient dans des écoles où étaient sur le point d’y aller ont arrêté. Elles sont toutes trop loin », constate Ion.
Discours inchangé
Comme à chaque installation post-expulsion, le même schéma, le même discours : « On aimerait bien pouvoir rester de façon stable. Ici, il n’y a pas de boue. Le problème, c’est qu’il n’y a pas d’accès à l’eau. Ni de benne pour mettre les déchets – on va se faire envahir par les rats », craint Lelita. Mais quand bien même il y en aurait une, qui viendrait effectuer le ramassage au bout de ce chemin défoncé ? Même constat pour cette autre demande : « Est-ce qu’il ne serait pas possible de faire un ramassage des enfants pour l’école ? »
Les familles sont originaires d’une communauté Rom plutôt traditionaliste de la Moldavie roumaine, les « calderare ».
Guillaume Bonnaud / SO
C’est en tout cas ce que souhaite Samuel, 13 ans, qui ne parle que quelques mots de français : « Normalement, j’étais inscrit à Mérignac. Ici, je passe mes journées à faire de la trottinette et à jouer sur mon téléphone. Mes yeux vont finir par exploser. » Elena garde le sens de l’humour : « Regardez, on en pleine forêt. Si au moins les sangliers venaient nous voir, on pourrait les rôtir ! » Le trait d’esprit ne masque pas longtemps sa colère : « Ça fait dix ans que je suis dans des bidonvilles. Pourquoi on nous laisse dans cette m*rde ? En plus, cette fois, on détruit nos voitures, alors que c’est notre outil de travail et qu’on compte sur nous pour faire un vin de qualité ! »
Voisinage
Son plaidoyer est couvert par un hurlement de turbines – un avion au décollage – et un concert d’aboiements. Le seul voisin est un élevage de chiens anglo-français. Le patron s’accommode de la cohabitation. « Ils sont corrects et discrets. Au début, il y a eu quelques frictions, quand ils se sont branchés sur l’électricité en démontant une clôture ; mais je leur ai demandé de la réparer et ils l’ont fait », raconte le sexagénaire. « J’ai bien vu que ce sont des familles dans la galère, qui travaillent, avec des enfants. Je suis loin d’être un révolutionnaire. Mais dans une société comme la nôtre, c’est quand même incroyable qu’on n’arrive pas à les loger. »
Une trentaine d’enfants vit dans ce bidonville, loin des écoles. Presque aucun ne parle français bien qu’ils passent presque toute l’année en Gironde.
Guillaume Bonnaud / SO
Le voisin explique que le terrain occupé sans droit ni titre appartient au propriétaire d’une ancienne usine de béton attenante. Et croit savoir qu’il est au centre d’un projet photovoltaïque. Le cycle installation-demande d’expulsion a toutes les chances de se relancer.
Au Lac aussi
Ce bidonville sylvestre n’accueille qu’une partie de la population qui était concentrée sur le terrain appartenant à la Métropole près du Parc des expositions (jusqu’à 450 personnes). Le reste est toujours dans le secteur du Lac. Moins visible et coupé du suivi associatif. Une invisibilité qui ne résout en rien cette équation : comment loger des groupes entiers de travailleurs communautaires, donc en situation régulière, insérés dans l’économie viticole ?